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Récit de voyage : Pologne, sur les traces du passé (2ème partie)

Varda et moi partons avec Monica pour deux jours à Lodz (prononcer Woudch). Pour Varda qui est déjà venue en Pologne, c’est la première fois qu’elle vient dans cette ville. Pour elle c’est un pèlerinage, ses grands parents y étaient arrivés avec leur petite fille de 2 ans, venant de Russie en 1920, poussés par la faim après la Révolution. Elle a hâte de voir où sa mère a grandi. En 1939, les parents sentant le danger lui avaient dit : "Vous les jeunes, partez !". Revenue de Russie après la guerre à Varsovie, c’est là que Varda et son frère sont nés.

Pour certains, Lodz est une ville plutôt triste. Personnellement j’ai tout de suite vu son charme (faisant abstraction de son histoire), malgré ses nombreux bâtiments non entretenus qui permettent de voir comment ils sont construits : de brique puis recouverts d’enduit qui permettait à chacun d’exercer sa fantaisie décorative sur les façades. Certains bâtiments restaurés font ressortir la misère d’autres mais cette pauvreté n’empêche pas d’en voir la beauté. Toutes les trois nous nous installons sur un tricycle genre pousse- pousse chinois et traversons Piotrkoswka la grande artère de la ville. Monika, qui est ici "dans sa ville", nous explique qu’il n’y a guère d’argent et que surtout de nombreuses habitations n’ont plus de propriétaires et sont sans actes de propriété, personne d’après la loi, ne peut y toucher, pas même la mairie. Dommage ! Certains sont très beaux ! D’autres avenues m’expliquent une réflexion de Monica lorsque nous nous promenions ensemble à Jérusalem : "Lorsque j’avais 15 ans je trouvais qu’il manquait quelque chose dans cette ville". Je comprends ce qui a pu lui faire sentir cela : les Russes pour installer le tramway ont tout simplement détruit toutes les façades d’un seul côté, si bien que se sont les cours intérieures et les murs sans ouvertures qui font office de façades ! Aujourd’hui, pour y remédier certains de ces murs sont repeints en "trompe l’œil", ici de fausses fenêtres, et là un mur entier avec 5 étages de fenêtres et des personnages aux fenêtres. Plus loin la belle maison où a habité le pianiste Rubinstein, sur le trottoir une statue le représente à son piano. Nous arrivons à l’adresse des grands parents de Varda. L’émotion est visible. Un grand immeuble de 6 étages, avec porche et cour intérieure. Nous grimpons les 5 étages où ils habitaient, mais il y a 3 escaliers semblables et nous ne monterons pas tous les étages. Un détail manquait à Varda : quel est le bon escalier ? Bien qu’habité, l’immeuble n’est guère entretenu.

A Lodz il y a une vie culturelle que l’on ne soupçonne pas : une école de cinéma renommée où ont étudié Roman Polanski et Krzysztof Kieslowski, des théâtres des bibliothèques. Mais la spécialité de la ville, c’était le textile qui s’est développé au 19ème siècle, en partie par les Juifs. De très pauvres, certains sont devenus de grands industriels, comme Israël Poznanski dont le palais est devenu le musée de la ville, et attenant, son immense site industriel où il employait jusqu’à 6 000 ouvriers et qui avaient leur logement à côté. Depuis 2006, ce site appelé ’la manufactura" est devenu un énorme projet d’urbanisme. Ce site situé au centre ville, est abandonné depuis 1997. Des architectes lyonnais et une association étrangère sont tombés amoureux de ses 270 000 mètres carrés du site. Les briques de la façade de 50000 mètres carrés ont été brossées une à une et retrouvé leur rouge initial pour abriter 300 boutiques de luxe, un hôtel de 800 chambres, 6 cinémas, un théâtre, un complexe sportif, le musée de l’usine etc. Au centre, des fontaines qui le jour de notre visite faisaient la joie des enfants qui s’y rafraîchissaient.

La Seconde Guerre Mondiale, le ghetto

Lodz, 3ème ville de Pologne, n’a pas été comme Varsovie et Cracovie enclavée dans le "Gouvernement général", région destinée par les nazis au regroupement des Polonais, mais annexée au Grand Reich. C’est le Litzmannstadt. La ville compte alors 233 000 Juifs pour une population totale de 672 000 habitants. C’est le premier ghetto institué par les nazis en avril 1940, celui de Varsovie le sera en octobre de la même année. Sa communauté est à titre provisoire enfermée hermétiquement et travaillera dans l’industrie textile, approvisionnant l’Allemagne nazie et la Wehrmacht en fournitures et équipements. Il va perdurer ainsi jusqu’en août 1944.

En 1939 les Juifs vivent dans les mêmes quartiers que les Allemands de souche et un processus d’aryanisation est mis en œuvre. Les urbanistes allemands veulent créer des quartiers allemands et polonais séparés. Entre décembre 1939 et avril 1940, 300 000 habitants changent d’adresse. Le ghetto est créé par étapes. Dès septembre 1939 les biens des Juifs ont été mis sous séquestre par les nazis mais en secret. Puis les Juifs sont contraints de porter l’étoile jaune, nombreux sont les intellectuels et les dirigeants juifs qui fuient vers l’Est dans la zone polonaise sous occupation soviétique. En février 1940, 100 000 Juifs doivent se concentrer dans quelques vieilles rues où vivent déjà 62 000 autres. A partir du 10 mai ils ne peuvent plus quitter le ghetto et sont confinés chez eux de 19 heures à 7 heures du matin. En octobre 1941, 20 000 Juifs du Reich arrivent dans le ghetto qui est contrôlé par l’administration allemande, la gettoverwaltung, mais l’administration des Juifs est donnée au Conseil juif ou Judenrat dirigé par Chaïm Rumkowski qui pensait qu’en se conformant aux ordres nazis, cela permettrait de préserver un minimum de conditions d’existence pour les membres de sa communauté. Les nazis lui font confiance dans la mesure où il maintient l’ordre dans le ghetto. Il est persuadé que la production du travail juif garantira leur survie et tous doivent travailler 12 heures par jour. En 1943, 95% de cette population adulte travaille dans 117 ateliers dans d’horribles conditions. C’est ainsi que le ghetto de Lodz survit à tous les autres, Rumkowski se vantant de sa productivité mais n’hésitant pas à assurer la survie de la communauté en sacrifiant les improductifs, les malades, les enfants. Sous sa direction, une certaine égalité s’établit grâce à la distribution de nourriture, mais la mortalité est importante : 6 personnes en moyenne vivent dans une pièce et les conditions hygiéniques engendrent les maladies. En septembre 1941, 144 000 juifs vivent sue une superficie de 4,13 km carrés. Sur les 200 000 habitants du ghetto, environ 45 000 sont morts dans ses murs.

Le 20 décembre 1941, Rumkowski annonce que 20 000 personnes doivent quitter le ghetto. Le 15 mai 1942, 55 000 autres. C’est seulement à partir de septembre de cette année-là que Rumkowski et les Juifs de Lodz savent que la déportation signifie la mort. Ils arrivent au camp d’extermination de Chelmo. En 1944 les 73 500 habitants du ghetto sont la plus grande concentration de Juifs en Europe de l’Est, leur survie dépend uniquement de leur capacité de travail. A ce moment, les troupes soviétiques sont à moins de 100 kilomètres et stoppent leur avancée. Le reste des Juifs y compris Rumkowski sont transportés à Auschwitz. Seules 900 personnes réussissent à se cacher et ils survivent jusqu’à l’arrivée de l’armée soviétique. Sur les 204 000 personnes ayant passé par le ghetto de Lodz, seules 10 000 seront rescapées.

S’il n’y a pas eu de révolte, c’est que l’organisation industrielle, le manque total de communication avec l’extérieur a empêché toute arrivée d’armes. Par contre dans les premiers temps, la résistance symbolique se dévoila à travers la richesse de la vie culturelle et religieuse bien organisée. Il y avait 47 écoles et jardins d’enfants, des théâtres, des concerts, toute une vie culturelle que l’on peut trouver dans les archives organisées par le Judenrat dans le ghetto. La vie quotidienne nous est connue grâce aux "Chroniques quotidiennes du ghetto de Lodz", 6 000 pages écrites dans la clandestinité, ainsi que de nombreux "Journaux intimes " qui ont été retrouvés : d’Abraham Cytryn, Shloyne Frank, Chava Rosenfard. Henryk Ross, spécialisé dans les photos d’identité a caché ses nombreux clichés clandestins dans un trou au moment de la liquidation. Parvenu à se sauver, il a pu récupérer un bon nombre de ceux-ci. En 1960 elles ont été publiées dans l’album : "Le dernier voyage des Juifs de Lodz".

Au nord de la ville nous arrivons au cimetière juif. C’est le plus grand d’Europe, (41 hectares). Créé en 1892, il compte environ 160000 tombes, parmi eux de véritables œuvres d’art et d’architecture, dont celui d’Israël Poznanski et des grands industriels juifs, ainsi que la tombe des parents d’Arthur Rubinstein. Nous le traversons puis arrivons à l’esplanade où sont inhumés les victimes du ghetto, dont certaines ont des noms, beaucoup restent anonymes. Des ouvriers coupent l’herbe qui envahi l’ensemble.

Avec Monika nous traversons un petit parc, parcelle du ghetto détruit, puis nous arrivons devant une grande statue de Moïse tenant les tables de la loi. Derrière la peinture représentant la grande synagogue aujourd’hui détruite, nous marchons dans ces rues qui ont vu toutes cette souffrance. Le frère de Monika nous attend pour nous emmener chez leurs parents. A 25 kilomètres, dans la campagne, l’accueil est très chaleureux et les "Pierogis" délicieux. Le papa est fier de nous dire que cette maison en bois l’a vu grandir avec ses autres 8 frères et sœurs, et aujourd’hui de l’autre côté de la rue, il construit une coquette maison au milieu d’un champ d’avoine, comme on en voit beaucoup le long des routes.

Nous revenons à Varsovie, c’est le jour des élections (2ème tour) et nous nous dirigeons vers le quartier où Varda a grandi : voici l’appartement que nous voyons de dehors, l’école où elle a été et qui est ouverte faisant office de point de vote. Interdiction de photographier ! Elle reconnaît chaque pièce, la salle de sport, rien n’a vraiment changé et nous en profitons pour faire une halte.

Avec Magda nous prenons la route le lendemain dans la direction Est. Notre premier arrêt est pour la maison de Chopin, située dans un magnifique parc entretenu par une association. Nous visitons la maison, dans chaque pièce la musique nous enchante, on peut s’installer dehors et écouter un concert, voir le parc avec sa rivière, ses fleurs, sa serre où nous achetons un petit arbre "Catalpa" pour l’apporter à la Maman de Magda. Puis nous continuons notre route, cette fois c’est un arrêt pour nous montrer un village autrefois entièrement juif avec ses petites maisons si typiques au toit bas recouvert de tôles goudronnées, accolées les unes aux autres.

Le camp de Tréblinka

A une centaine de kilomètres à l’Est de Varsovie, c’est le camp de Tréblinka. Dès l’été 1941, les Allemands construisent un camp pénitentiaire de travail dans une carrière où les prisonniers polonais triment, c’est Treblinka I. Sur les 20 000 prisonniers qui y passèrent, 10 000 y furent abattus. Puis se sont les Juifs qui les suivirent après que les Allemands aient construit le camp d’extermination, Treblinka II en juillet 1942 à 2 kilomètres et demi du premier. Il est construit dans le cadre de "L’action Rheinhard" aboutissant à la liquidation physique de la population juive. S’étendant en pleine forêt sur une superficie de 17 hectares, son personnel était composé d’environ 35 Allemands et Autrichiens et d’à peu prés 120 gardiens Ukrainiens. Le premier transport arriva le 23 juillet 1942, c’était le jour de Tisha be Av. C’étaient des Juifs du ghetto de Varsovie qui étaient envoyés dans les chambres à gaz. Le 2 août 1943 une révolte armée eut lieu dans le camp d’extermination qui fut en partie détruit et il sera démoli en novembre 1943. Environ 800 000 Juifs venus de Pologne, Autriche, Belgique, Bulgarie, Tchécoslovaquie, France, Grèce, Yougoslavie, Allemagne et Union Soviétique, ainsi que plusieurs milliers de Gypsies et de Roms y ont trouvé la mort. Ils étaient amenés par train de 50 à 60 wagons.

On a retrouvé des plans précis du camp, dont il ne reste rien. Les Allemands l’ayant complètement détruit et même essayé d’en effacer la trace en replantant des arbres sur l’emplacement. Depuis, tout l’ensemble est devenu un immense mémorial : nous y arrivons près du quai symbolique de débarquement où des rochers portent l’inscription des noms des pays d’où sont arrivés les Juifs. Là où étaient les chambres à gaz, un immense champ de rochers dressés représente les 17 000 personnes assassinées journellement. Toutes les 3 nous circulons longtemps entre ces blocs de pierre où sont inscrits par-ci par- là les noms de villes et villages. Seul le nom personnel de Janusz Korczak est inscrit avec celui des enfants de son orphelinat qu’il avait accompagné. Ecrivain, pédagogue, militant social et médecin, il périt avec eux dans un transport au début d’août 1942.

Une grande fosse représente celle où étaient brûlés les corps après avoir été asphyxiés. Nous continuons à marcher le long de ce qu’était la voie de chemin de fer pendant 2,5 kilomètres, pour arriver au camp pénitentiaire. Seuls les sols des baraques demeurent.

Nous reprenons la route, c’est la Maman de Magda et sa sœur qui cette fois nous accueillent dans leur maison de campagne. Un repas sympa sous les arbres nous attend : un nid étant accroché pas loin, nous fait déplacer la table, l’oiselle veut aussi nourrir ses petits et visiblement nous lui faisons peur. Sur la route du retour, nous traversons de petits villages toujours très clairsemés, avec leurs maisons en bois typiques. Sur les piliers téléphoniques, plusieurs nids de cigognes sont là avec leur progéniture. Ici c’est une région d’arbres fruitiers ; de buissons de framboises et autres fruits rouges. A chaque début de village, il y a une chapelle avec un faisceau de rubans dont nous n’avons pas eu la signification.

De retour à Varsovie, nous retrouvons Monika, Arthur, Mirka et une cousine et terminons autour d’une bonne table avant de reprendre le vol pour Tel Aviv.

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