Lettre à mes frères miliciens et jeunes « patriotes » :
Quand allez-vous prendre conscience que Gbagbo ne vous aime pas ?
Cette lettre s’est imposée seule à mon intelligence quand j’ai appris que notre gérant de cabine téléphonique du quartier (Riviera II), un garçon sans histoire, serait en pleine formation « militaire » dans un village près de Bingerville. Un autre que j’admirais bien, à qui je fais toujours les faveurs, un valeureux porte-faix avec un BTS poussiéreux en poche, serait lui aussi dans le périmètre de l’Académie des sciences et techniques de la mer à Yopougon en cours intensifs de tactiques de guérilla urbaine dans une milice. Comme eux, des dizaines de milliers de jeunes sont préparation d’une des guerres les plus saugrenues au monde. Ils jurent tous, la main sur le cœur, qu’ils vont défendre le régime en place. Ce régime qui leur parle toujours de souveraineté et de défense des Institutions de la République contre les « envahisseurs ». Mais, mes frères miliciens, ne trouvez-vous pas curieux que c’est toujours quand Gbagbo est en difficulté que vous devenez les chouchous de la République ? En 2002 et 2004, on vous a brandi ces mêmes arguments. Comme par enchantement, la notion de miliciens disparaissait du vocabulaire des Ivoiriens quand l’élection arriva, et le perdant Gbagbo (il est Bété comme moi), par un tour de magie enrobé dans une belle carapace constitutionnelle, renversa les évidences et se faisait proclamer président. Après ce forfait qui nous ramène à la case départ (2002), la Communauté internationale agit par le dialogue avec en toile de fond un usage du bâton (force) si nécessaire. L’heure est donc idéale pour ressusciter les arguments de la Françafrique, conditionner les jeunes pour mener une entreprise vraiment suicidaire. Ne comprenez-vous pas, mes frères, qu’aux yeux des Refondateurs, vous êtes de simples instruments ? Si vous ne comprenez pas, je vais vous rappeler un fait réel dont les journaux ont fait écho en 2010. Au mois d’octobre je crois, des miliciens du GPP qui se considéraient comme des grands oubliés de la Paix , sont allés réclamer aux autorités (Président de la République Gbagbo et Premier ministre Soro) leur prise en compte dans le processus de sortie de crise. Avant même de lire leur motion de protestation (je rappelle que par pure coïncidence, je me trouvais juste à l’Hôtel du District), ces jeunes ont été littéralement « gazés » par un contingent impressionnant de la CRS , et pourchassés en plein Plateau comme des Juifs dans la Pologne tudesque. Savez-vous pourquoi les policiers de Désiré Tagro que vous adulez aujourd’hui vous ont traités ainsi avec mépris, vous qui avez fait les beaux jours de ce qu’il convient d’appeler pompeusement la résistance patriotique en 2002 et 2004 ? Pensez-vous que vous êtes vraiment utiles en période de Paix ? Je donnerai des éléments de réponse tout à l’heure. Mais pour l’instant, retenez mes frères, qu’en réalité, le système vous abrutit et vous maintient dans la posture d’une force brute à son service. Et Blé Goudé joue un rôle dont votre endoctrinement ne vous fera peut-être jamais comprendre !
Gbagbo et Blé Goudé se servent de vous
Aimer les jeunes, ce n’est pas leur enseigner un patriotisme anticonstructif et un nationalisme aux allures violentes, dans un monde de plus en plus ouvert. Et pourtant, depuis 2002, c’est la recette qu’on vous enseigne dans tous les espaces publics ; agoras, campus.... Aimer les jeunes, ce n’est pas de leur distribuer des kalachnikovs dans les villages pour semer la chienlit. Aimer les jeunes, espoir de demain, c’est leur trouver des emplois. Cela suppose une réelle volonté de promotion de l’Emploi dans tous les secteurs. Pour ce faire, l’assainissement du milieu des affaires par des exonérations fiscales et autres faveurs aux jeunes entrepreneurs s’imposent. Mais depuis que mon Tonton Gbagbo pour qui vous faites tant de sacrifices est aux affaires, regardez-moi droit dans les yeux et dites-moi ce qui a changé dans votre vie ? Quelles facilités vous ont été faites pour vous permettre de vous installer et travailler après vos diplômes ? Aucune. Tellement engagés, vous me sortirez sûrement l’argument maintenant trop révolu : « on était en guerre et Gbagbo n’a pas pu travailler ! ». C’est joli comme prétexte mais retenez que le dos de la guerre est tellement large que chacun peut y faire ses plantations de mensonges. Ceci dit : je ne suis pas économiste mais je vais vous plonger un peu dans les chiffres. Le processus de sortie de crise nous a coûté environ 500 milliards (identification, audiences foraines, élection) depuis 2005. Mais depuis cette même année, les budgets cumulés de la Côte d’Ivoire sont de 13 000 milliards en raison d’au moins 2 600 milliards par an. Ôtez 500 de 13 000 et vous verrez que les Refondateurs avaient un bon pactole pour s’occuper de vous, les jeunes qu’ils aiment tant. Mais en réalité, vous n’avez jamais fait partie des priorités du richissime Blé Goudé (je rappelle que je connais l’estimation de sa fortune et les chiffres vous donneront certainement le vertige).
Suivez avec moi l’itinéraire tracée pour vous maintenir dans le chômage et donc la misère, de sorte à ce qu’une kalachnikov puisse faire votre bonheur aujourd’hui. Novembre 2004, vous qui étiez en train de manger, de dormir… vous avez tous arrêté pour « libérer » notre pays des griffes de la France. Sous l’impulsion de Blé Goudé, vous vous en êtes pris aux intérêts français, et en particulier aux entreprises qui vous-mêmes vous emploient. Une fois ces « sales » Français rentrés, le chômage s’est invité dans vos foyers. Et vu que l’environnement des affaires n’avait bénéficié d’aucune reforme, vous avez tous voulu entrer à la Fonction publique. Bonjour donc aux concours de l’ENA, de l’école de police, de gendarmerie… Mais à ce niveau, mes frères miliciens et « jeunes patriotes », vous vous êtes heurtés au vrai mépris de la Refondation : une affaire de commerce honteux mais juteux sur les concours mais aussi de listes (il faut noter que les listes sont hiérarchisées dans la longue chaîne des Refondateurs : une liste de la Présidence n’a pas une même valeur contraignante que celle d’un petit Fédéral FPI de province). Vous vous êtes rendus compte que l’intelligence ne faisait vraiment pas partie des critères de réussite sous la Refondation. Vous rentrez donc bredouilles et ne devez votre salut qu’à une entreprise à petit capital : les cabines téléphoniques exactement comme mon ami du quartier qui a échoué à une vingtaine de concours et qui est devenu aujourd’hui milicien. Le fait de vous maintenir dans la dépendance est une stratégie politique. C’est ce qui vous fait dire, avec ignorance, que le Woody est un stratège. Car, chers frères miliciens et « jeunes patriotes » (virtuellement miliciens), il est difficile pour un jeune qui travaille et qui s’en sort bien de laisser sa petite famille et accepter une offre de poste dans une milice ou même de répondre promptement à une mobilisation demandée par Blé Goudé. Les miliciens sont pour la plupart des désoeuvrés ou des jeunes sans avenir qui pensent intimider avec les kalachnikovs. Vous comprenez donc que si vous travaillez, Blé Goudé devient simplement l’ombre de lui-même. Beaucoup de chômeurs, beaucoup de miliciens.
Mais du côté des étudiants (encore sur bancs), la stratégie est différente. Blé Goudé et son mentor Gbagbo ont transformé des résidences universitaires en de vraies casernes militaires. Des armes sont livrées à une poignée d’étudiants de la Fesci pour terroriser d’autres étudiants. C’est cela l’amour de Gbagbo pour la jeunesse ? Donc mes amis et frères miliciens, Blé Goudé ne fait qu’exploiter vos faiblesses. C’est archifaux que vous vous considériez comme les garants de la République car vous savez très bien que Gbagbo a perdu les élections. Mais le pire, c’est ce à quoi vous vous exposez !
Regardez la galère des miliciens de Ben Ali
Récemment, un journal titrait avec les propos d’un général de l’Ecomog : « Résister avec les kalachnikovs sera une pure folie ». Or nous savons très bien que depuis un moment, ce sont ces armes qui sont distribuées dans tous les coins de rue. Mais, sachez que l’opération en cours est une opération d’exfiltration de Laurent Gbagbo qui squatte le Palais présidentiel et retarde le développement du pays. Vous serez éventuellement des cibles si vous vous exposez. Ce que vous allez sûrement faire. Mais ce que je veux vous dire, c’est qu’aujourd’hui, vous pouvez abattre de sang froid des militants du RHDP car vous sentez une couverture du régime. Mais, sachez que vous n’êtes par une force légale. Vous vous trompez énormément en voulant vous identifier aux FDS. Mais rappelez vous vos déboires au Plateau impulsées par ces mêmes policiers et vous comprendrez que votre utilité est temporaire (quand le régime est en difficulté). C’est donc une erreur grave que vous faites car la défaite de Gbagbo est inéluctable dans ce bras de fer avec le monde entier. Et quand il va tomber, qu’allez-vous devenir ? Comment allez-vous regarder vos victimes ? Regardez comment les desperados, miliciens de Ben Ali, sont livrés aujourd’hui à l’Armée dans les sous-quartiers de Tunis. En clair, vous serez puissants tant que Gbagbo sera aux affaires. Les mêmes FDS à qui vous vous identifiez aujourd’hui seront celles-là mêmes qui vous traqueront, et c’est sûr que vous serez coincés. Vous savez pourquoi ? Vous n’aurez plus de munitions ni de tuteur et ce sera la chasse à l’homme.
Pour finir, je vous dis qu’il n’est pas encore tard de renoncer. L’Ecomog ne vient pas contre les civils et il est temps que vous regagniez vos cabines téléphoniques en attendant que le changement de régime politique puisse peut-être vous être favorable. Ne soyez pas des chairs à canon là où on parle d’appui logistique des USA, de la Grande-Bretagne … J’espère que vous m’écouterez. Vous avez déjà tout donné à Gbagbo et il est temps qu’il pense à vous maintenant. Le sacrifice suprême que vous vous préparez à faire pour Gbagbo est inopportun car l’histoire ne vous mentionnera même pas dans un de ses paragraphes. Dans les livres, on parlera simplement de la triste parenthèse Gbagbo et même pas de Maho Glofiéi ou encore de Touré Zéguen…
Zadi Koudou Mathieu
Doctorant en sociologie