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Peu de gens se souviennent que, en 1977, la CIA a interdit la pratique de recruter des journalistes pour atteindre leurs buts. Elle répondait ainsi aux rapports du comité sénatorial dirigé par le démocrate Frank Church décrivant les pratiques inacceptables en cette matière de la CIA et du FBI, pratiques très courantes surtout pendant la période mouvementée des années 1960 et 1970 (Guerre au Viêt-Nam, combat pour les droits civiques). Avec le recul, on peut dire que quil sagissait là dune sorte de sommet de la démocratie étasunienne : les grands mouvements populaires avec leurs revendications de transparence avaient abouti à une interdiction formelle dutiliser les journalistes comme agents ou espions.

(Malgré cette interdiction formelle, la CIA sest ménagée une entourloupette lui permettant de sen servir dans des « situations extraordinaires. » Lorsquon la découvert en 1996, après une autre levée de boucliers, ladministration Clinton a levée en 1997 linterdiction dutiliser des journalistes à condition que le Congrès en était informé et que le président lapprouvait. Donc, depuis 1997, la CIA a repris cette pratique honnie a visière levée.)

Force est de constater que nous sommes maintenant très loin dun tel sommet de transparence. Surtout à en juger par les récentes révélations de feu Roger Auque, ancien correspondant de Radio-Canada, mais aussi par labsence dexplications ou de protestations de la part des médias qui lont employé. Roger Auque est passé aux aveux dans un livre publié à titre posthume, Au service de la République dont des extraits ont paru récemment dans plusieurs journaux européens. Bref, ce « journaliste » avoue avoir été un agent du Mossad et dautres services de renseignements depuis 1989.

« Dès cette époque, écrit-il, j’ai noué des rapports très étroits avec Israël. Je m’y rends très souvent, car j’y ai un double intérêt. Israël possède des services secrets très efficaces. C’est en outre un appui important dans mon métier. Je l’avoue aujourd’hui, ce n’était pas la seule raison. J’entretiens alors des contacts étroits avec le Mossad, qui a vite compris l’intérêt que pouvait présenter un journaliste français connaissant le Moyen-Orient sur le bout des doigts. (...) J’ai été rémunéré par les services secrets israéliens pour effectuer certaines missions, par exemple des opérations secrètes en Syrie, sous couvert de reportage. » Il ajoute quil a travaillé également pour la CIA et les services français.

À ce jour, le silence semble total chez Radio-Canada qui, pourtant, a diffusé pendant de nombreuses années les reportages de Roger Auque de partout au Moyen-Orient, de Bagdad à Tel Aviv en passant par Damas et Beyrouth? Absence de commentaire aussi de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec qui a souligné son décès dans un communiqué en septembre 2014.

A-t-on mesuré le danger que les Roger Auque de ce monde représente? Dabord pour les journalistes eux-mêmes, mais aussi pour la crédibilité des médias et de la profession de journaliste? Comment ne pas être sceptique au sujet des nouvelles internationales?

Si les médias comme Radio-Canada gardent le silence au sujet des révélations de Roger Auque, ils donnent une crédibilité à tous ceux qui peuvent penser que tous les correspondants étrangers en situation de guerre peuvent être soupçonnés dêtre des agents. Ils mettent ainsi en danger la vie de tous leurs correspondants à létranger.

En outre, si ces médias nexigent pas de la part de leur gouvernement un engagement formel de mettre fin à la pratique des services de renseignements dutiliser des journalistes pour atteindre leurs buts, cela veut dire quils reconnaissent et acceptent que peut-être les informations quils diffusent ne sont que des communiqués du Département dÉtat des États-Unis ou de ses alliés; quils peuvent être parfois rien dautre que des courroies dinformation des services secrets.

Au sujet de léthique et déontologie de la profession de journaliste, Deni Elliot et Paul Martin Lester duPractical Ethics Center de lUniversité du Montana avait écrit avec raison raison : « Il est important que même les sources les plus sordides dans des situations les plus désespérées doivent savoir que les journalistes ne prennent pas parti et ne sont que du côté de la vérité ». Pour que ça arrive, il incombe aux médias de lexiger.

Mais qui a dit que la vérité est la première victime de la guerre ?

 

Robin Philpot

Robin Philpot, éditeur de Livres Baraka et animateur de Le pied à Papineau, CIBL 101,5

Le cas Roger Auque, journaliste et agent du Mossad, interpelle médias et journalistes
Tag(s) : #Mondialisation
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