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La création d’Israël en 1948 est l’aboutissement d’une longue histoire : montée en puissance du sionisme, émergence 
des nationalismes en Europe et persécutions à l’encontre 
de la diaspora sont à l’origine d’une expérience politique 
séculière teintée de messianisme…

À la fin du XVIIIe siècle, plus des deux tiers du judaïsme mondial vit dans le grand royaume de Pologne, en voie d’être partagé entre la Prusse, l’Autriche et la Russie. La présence ashkénaze est attestée plus largement de l’Ukraine à l’Alsace. Du côté sépharade, les Juifs sont présents dans le monde musulman, du Maghreb à l’Iran. Une partie est issue de la péninsule ibérique et se concentre majoritairement dans l’Empire ottoman, le reste étant présent dans le sud-est de la France, aux Pays-Bas, en Angleterre et en Allemagne… Dans tous ces pays, le statut du Juif est celui d’un sujet de seconde zone. Avec la Révolution française et l’accès des Juifs de France à la citoyenneté en 1790-1791, environ 40 000 âmes à l’époque, une ère nouvelle s’ouvre. L’émancipation complète ou partielle des Juifs d’Europe occidentale et centrale va devenir une réalité au fil des victoires napoléoniennes. La levée progressive des restrictions, malgré des retours en arrière, leur ouvre finalement de nouveaux horizons et des opportunités économiques impossibles jusque-là.

 

Le défi de la modernité

De son côté, le mouvement des Lumières juives (Haskalah), né en Allemagne au XVIIIe siècle, force les portes du monde traditionnel, atteignant les Balkans et l’Europe orientale un siècle plus tard. Si, dans ces régions de l’Europe, l’État rechigne à émanciper les Juifs, ces mouvements internes n’en bouleversent pas moins le mode de vie d’une partie d’entre eux, les font sortir du shtetl (la bourgade juive), et les obligent à relever le défi de la modernité.

En Russie, l’assassinat du tsar Alexandre II est suivi de pogroms en 1881-1882 et de grandes vagues d’émigration. Entre 1880 et 1925, 2 650 000 Juifs d’Europe orientale s’installent aux États-Unis. À la fin du XIXe siècle, plus de 5 millions de Juifs, soit la moitié de la population juive mondiale, résident encore dans l’Empire russe. C’est là que se développent certains des courants majeurs qui traversent alors le monde du judaïsme, nationalisme juif et socialisme compris.

 

Le devenir des Juifs 
en pays musulmans

Dans les Balkans, qui abritent les descendants des expulsés de la péninsule ibérique, les Juifs connaissent le démembrement de l’Empire ottoman, la puissance musulmane qui les avait accueillis en masse suite à leur expulsion d’Espagne au XVe siècle. Dès la seconde moitié du XIXe siècle, leur univers se fragmente, de nouveaux États-nations, à majorité chrétienne, naissant l’un après l’autre sur les ruines de l’Empire.

En Afrique du Nord, les Juifs sont confrontés à la colonisation française, au Moyen-Orient et en Inde à celle des Britanniques. La conquête de l’Algérie ouvre de nouvelles perspectives aux Juifs locaux qui attendent des forces colonisatrices l’amélioration de leur statut. En 1870, le décret Crémieux les fait accéder à la citoyenneté française, mettant ainsi fin à des siècles de dhimmitude (mot-clé ci-dessous) et aux restrictions afférentes, mais les plaçant désormais en porte-à-faux vis-à-vis des populations musulmanes, soumises au régime de l’indigénat. Dans les terres d’Islam non directement colonisées, l’Alliance israélite universelle, fondée par des notables juifs en 1860 à Paris, entreprend, par l’éducation, une œuvre de « régénération » des Juifs locaux. Ces processus généralisés de modernisation et d’occidentalisation débouchent, à l’heure des indépendances, sur un départ définitif, les relations avec les musulmans se détériorant sérieusement avec la fondation de l’État d’Israël en 1948.

 

Un tournant crucial, 
mais à quel prix ?

En Europe, les dernières décennies du XIXe siècle sont marquées par la montée de l’antisémitisme, dont l’affaire Dreyfus est l’une des manifestations. Dans cette atmosphère se développe le nationalisme juif, à la source du sionisme politique (encadré ci-dessous).

La crise économique et politique qui secoue l’Europe après le krach de 1929 aggrave la xénophobie et l’antisémitisme. En 1933, Hitler et avec lui l’idéologie raciste nazie accèdent au pouvoir en Allemagne. L’Europe orientale est à son tour touchée par l’essor des mouvements antisémites, lequel n’épargne pas non plus la France. Avec la guerre, cette haine atteint son paroxysme. Les camps de concentration et d’extermination, les massacres en Europe de l’Est aboutissent à l’anéantissement de 6 millions de Juifs par les nazis et leurs collaborateurs, recrutés dans toute l’Europe au sein de mouvements fascistes ou de gouvernements collaborationnistes.

La proclamation de l’État d’Israël en 1948, qui entraîne la guerre d’Indépendance contre les États arabes coalisés voisins, marque un tournant crucial pour les Juifs de la diaspora comme pour les populations juive et arabe de Palestine. État-refuge pour ceux qui avaient traversé les affres de la guerre, Israël était l’aboutissement d’un long combat, engagé par les sionistes dès la fin du XIXe siècle, dans le sillage de l’éveil des nationalismes modernes. Si, après deux millénaires, les Juifs ont retrouvé leur État, le prix à payer a été lourd pour tous les habitants de cette région. Des centaines de milliers de Palestiniens ont été déracinés, fuyant dans les pays voisins, où nombre d’entre eux vivent encore aujourd’hui dans des camps de réfugiés.


La Bible peut-elle fonder le droit à la terre ?


En 1939, lors d’un défilé contre le Livre blanc britannique qui imposait de nouvelles restrictions à l’achat de terres par les Juifs en Palestine, les manifestants sionistes brandissaient des banderoles sur lesquelles on pouvait lire : « Ce n’est pas le mandat britannique mais la Bible qui constitue notre droit sur cette terre. »

La Bible est-elle bien suffisante pour fonder le droit à une terre ? L’histoire des conflits israélo-arabe n’a cessé de rappeler les difficultés insurmontables rencontrées pour faire admettre ce droit. De même, la fondation de l’État d’Israël n’a pas mis un terme à l’existence diasporique d’une majorité de Juifs. Des Juifs qui, dans leur exil commencé en Babylonie vers 587 av. J.‑C., avaient su substituer à la Jérusalem de Terre sainte de nouvelles Jérusalem locales. Ainsi Vilna, Jérusalem de l’Est ; Tlemcen, Jérusalem du Sud ; Sarajevo, Jérusalem des Balkans ; Amsterdam, Jérusalem du Nord, etc.

C’est en fait, bien plus que la Bible, l’histoire des Juifs à l’ère contemporaine qui confère une légitimité à la création de cet État. Et le droit des Palestiniens à cette terre n’en est pas moins légitime. Deux peuples pour une seule terre : cet impossible partage est au cœur même du conflit nationaliste qui ne cesse d’enflammer la région.

Esther Benbassa
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