En ces temps de vaches maigres, pourquoi ne pas mettre la main sur la cagnotte dodue représentée par les arnaques au budget européen ? À condition, bien sûr, de vouloir punir les fautifs…
En juillet dernier, commentant l’édition 2011 du rapport de la Cour des comptes européenne, (cf. pièce jointe) Algirdas Semeta - le très souriant commissaire européen en charge des douanes, de l’audit et de la lutte anti-fraude -, constatant une baisse de 41% des fraudes recensées par rapport à l’année précédente, dont 66% en matière agricole, s’est réjoui en bombant le torse : « La baisse des fraudes au budget européen démontre que notre détermination à y faire face commence à porter ses fruits. Bien entendu, le combat est loin d’être terminé. La commission va maintenir sa politique de tolérance zéro envers la fraude et pas un centime de l’argent du contribuable ne doit revenir aux fraudeurs. La commission est déterminée à prendre toutes les mesures utiles afin de protéger le budget européen et les états membres sont invités à en prendre leur part… »
Une déclaration triomphaliste qu’a du modérément apprécier l’austère néerlandais Maarten B. Engwirda, entré en janvier 1996 dans l’institution européenne qui a la charge depuis 1977, en qualité d’auditeur externe, d’assurer le contrôle des finances communautaires et plus généralement de se prononcer sur la manière dont sont utilisés les fonds de l’Union.
Marteen vend la mèche
Maarten n’avait en effet pas mâché ses mots lors de son pot de départ fin décembre 2010, pour dire tout le mal qu’il pensait de Siim Kallas, alors vice-président de la Commission et ayant autorité sur la Cour des Comptes pendant la période 2004-2010, avant de devenir commissaire au Transport.
Agé de 67 ans et n’ayant plus de soucis de carrière, Engwirda s’était répandu dans la presse batave sur « la culture de la dissimulation » et les multiples conflits nés entre la Cour et le commissaire estonien qui lui reprochait de faire un usage trop strict des règles comptables, contribuant à ce que trop souvent à son goût les comptes de l’Union ne parvenaient pas à obtenir le quitus du Parlement Européen lors de la fameuse procédure de « décharge ».
Bref, selon l’auditeur néerlandais, Kallas avait une fâcheuse tendance à pousser les ordures sous la moquette en demandant à la Cour de modérer ses ardeurs contre les malfaisants (« Il existait une pratique consistant à nous demander de tempérer nos avis défavorables quand il ne s’agissait pas purement et simplement de taire nos critiques » martelait-il le 10 janvier 2010 au journal néerlandais Volkskrant…).
Camarade Kallas
Il est vrai que Kallas, né à Tallinn en 1948, avait des excuses. Membre du Parti communiste d’Union soviétique du temps où elle existait encore et du soviet suprême de la République socialiste soviétique d’Estonie gagné subitement au libéralisme, l’homme a une sorte de vocation génétique et culturelle à la langue de bois mise au service d’un sens aigu de la discipline aveugle. Pour la petite histoire, il est à l’origine de la proposition d’un contrôle technique automobile annuel…
D’ailleurs, aux dires de Engwirda, son inclination naturelle à la mansuétude envers les ripoux aurait pu trouver un début d’explication dans les critiques de la presse estonienne qui reprochait à Kallas une responsabilité dans la disparition de 10 millions de dollars des caisses de la Banque Centrale estonienne pendant qu’il était aux affaires dans son pays - dont il a été premier ministre de janvier 2002 à 2003.
Les propos d’Engwirda ont été largement confirmés par Marta Andreasen, députée européenne un temps membre de la commission de contrôle budgétaire du parlement européen, qui en a été débarqué en 2002 pour avoir eu la langue trop bien pendue : « J’ai personnellement constaté les pressions qu’on exerçait sur les auditeurs à chaque fois qu’ils tentaient de révéler les lacunes dans les systèmes de comptabilité et de contrôle de l’Union » a-t-elle affirmé à mainte reprises.
Pour l’ex-auditeur néerlandais, c’est l’affaire de détournement massif des subventions européenne à l’exportation du beurre excédentaire, dite « affaire de la laiterie Fléchard », qui illustre le mieux son propos. Un scandale que, selon lui, la France a tenté d’enterrer en douceur au lieu de laisser la Cour des comptes européenne enquêter sereinement. Une politique qu’aurait poursuivie Kallas de 2004 à 2010 au nom de l’intérêt supérieur européen.
Gomorra dans l’Orne
Spécialisée dans la fabrication de beurres industriels et de féta, la laiterie familiale de la Chapelle d’Andaine avait semble-t-il flairé le bon filon entre 1997 et 1999 en achetant, avec un certain nombre de ses concurrentes plus prestigieuses, 16 000 tonnes d’un beurre assez spécial fabriqué à Carinero, dans la région de Naples. C’est l’entreprise Italburro qui tenait la baratte d’une main de fer selon la recette décapante mise au point par les familles Cecere et Viglione, soutenues par la Camorra napolitaine.
Jusqu’à ce que Nicola Cecere se mette à table et livre le secret de la recette familiale à la juge italienne Giovanna Ceppaluni au cours de l’été 2000.
Friande de pâtisserie, cette dernière a eu du mal à réfréner un haut le cœur en découvrant le pot aux roses : le groupe mafieux s’approvisionnait en un bouquet de matières premières un peu borderline, comme du suif de bœuf, des carcasses animales, des produits chimiques avec parfois un zeste d’hydrocarbures, ultérieurement transformées dans l’usine flambant neuve d’Italburro. Laquelle livrait un beurre liquide destiné à la biscuiterie et la pâtisserie industrielles ne contenant parfois pas une goutte de produit lacté.
Arrosés avec un autre liquide, les fonctionnaires de la répression des fraudes de la ville de Portici gardaient bouche cousue pendant que le beurre Italburro mettait le cap sur la France et la Belgique…
Chez Fléchard, on semblait apprécier son petit goût de noisette. On en a donc acheté en masse. On lui ajoutait du bon beurre normand à hauteur de 30% maximum, et le tout prenait la direction du Moyen-Orient, en permettant à la laiterie de faire son beurre sur les subventions européennes à l’exportation.
C’est finalement le 22 novembre 2007 que le TGI de Créteil a infligé à Jean-Pierre Boisgontier, directeur des achats de la laiterie, et à son PDG Guy Fléchard, respectivement 8 et 5 mois de prison avec sursis pour vente de denrées alimentaires falsifiées.
Malgré les bobards du duo, la Cour d’Appel a majoré leur addition le 6 février 2009 en y ajoutant l’escroquerie, et en alourdissant la peine des laitiers de génie à respectivement 12 mois de cachot, dont trois fermes, et 18 mois dont six fermes.
La Cour avait en outre confirmé les 23 millions d’euros de dommages et intérêts alloués à l’Office de l’élevage au titre des subventions perçues indûment entre 1997 et 2000.
Ce n’est que le 27 janvier 2010 que l’affaire a connu son épilogue hexagonal lorsque la Cour de Cassation a rejeté le pourvoi des Fléchard, rendant définitive leur condamnation pour avoir frauduleusement exporté du beurre un brin frelaté – en même temps qu’ils faisaient le leur avec les subventions de Bruxelles.
Un dossier glissant à Bruxelles
En mai 2000, Pascal Lamy n’était pas encore le big boss du commerce mondial. Commissaire européen au commerce extérieur après avoir été le très actif directeur de cabinet du président de la Commission Jacques Delors, le lait Fléchard lui était revenu en pleine figure le 15 mai 2000 dans un article que consacrait à l’affaire le quotidien allemand Süddeutsche Zeitung.
Le canard teuton faisait en effet état de la colère de la Cour des comptes européennes qu’on essayait de museler. D’après la gazette bavaroise, les auditeurs de Bruxelles avaient en effet envoyé à Romano Prodi et à Nicole Fontaine une lettre faisant état de l’absence de toute base légale à la « ristourne » de 14,5 millions d’écus discrètement consentie par le cabinet de Delors sur l’amende totale infligée à la société Fléchard pour arnaque aux subventions agricoles.
Par le plus grand des hasards, c’est le jour qu’avait choisi la commissaire européenne au Budget, l’écologiste Michael Schreyer, pour reconnaître qu’un compte rendu de réunion consacrée à cette affaire avait mystérieusement disparu.
Selon Maarten Engwirda, les manœuvres tricolores pour enterrer le bébé n’ont pas cessé pendant toute l’année 2000 - et bien au delà. À tel point que le 6 avril 2001, dans le cadre des questions écrites, le parlementaire Esko Seppänen apostrophait la commission en ces termes : « Quelles actions la Commission a-t-elle entreprises en vue d’éclaircir l’affaire Fléchard et trouver les éventuels coupables au sein même de ses services ? »
C’est le 13 juillet qu’avec un sens achevé de la diplomatie, Mr Fischler lui répondait : « La Commission, la commission du contrôle budgétaire du Parlement, la Cour des comptes européenne et l'Office européen de lutte antifraude (OLAF) ont étudié l’affaire dite Fléchard durant plus de deux ans…..La Commission est d’avis que l’affaire fait l’objet d’une documentation exhaustive et elle ne pense pas qu’il soit possible ni nécessaire de prendre d’autres mesures pour la régler. »
Il est acquis que la justice et les institution de régulation et de contrôle, notamment aux USA et en Grande Bretagne mais pas seulement, protègent pour toutes sortes de raisons les Banksters qui sont les principaux responsable des misères actuelles du monde.
Il serait peut-être enfin temps de se demander si oui ou non la Cour des comptes européenne est contrainte de faire preuve, comme l’affirme Maarten Engwirda, d’une mansuétude excessive envers ceux qui se gavent aux frais des Grecs, Espagnols, Portugais et autres irlandais ou italiens - et plus généralement de tous les contribuables européens appelés à se serrer la ceinture au nom de plus d’intégration européenne…