Alimentation
L’Afrique moins exposée à la hausse des prix alimentaires, mais des zones d’ombre demeurent
- Des récoltes favorables ont stimulé la production agricole dans de nombreuses régions d'Afrique, ce qui a permis d'atténuer l'impact de la hausse des prix des denrées alimentaires
- Les pauvres restent vulnérables à la hausse des prix alimentaires, qui a également des effets préjudiciables sur le plan de la nutrition, surtout chez les enfants et les femmes enceintes
- Les gains réalisés en matière de production agricole doivent être supplémentés par des efforts visant à augmenter les revenus des pauvres et à renforcer les filets de sécurité ainsi que les interventions nutritionnelles
WASHINGTON, 15 février 2011—L’Afrique subsaharienne semble moins exposée aux risques liés à la flambée des prix des denrées alimentaires, selon les toutes dernières estimations de la Banque mondiale contenues dans Food Price Watch, un bulletin qui suit périodiquement les tendances des prix des aliments dans les pays en voie de développement. Il n'y a cependant pas lieu de faire preuve de complaisance, vu que la pauvreté et l'insécurité alimentaire demeurent des préoccupations majeures.
A l’échelle mondiale, 44 millions de personnes supplémentaires ont sombré dans la pauvreté du fait de la hausse soutenue des prix des denrées alimentaires, qui en moyenne se situent actuellement à 29% au-dessus de leur niveau il y a seulement un an. Une situation d’autant plus alarmante que les prix ont progressé de 15% entre octobre 2010 et janvier 2011.
L’Afrique tire profit de bonnes récoltes
L’Afrique a bénéficié de bonnes récoltes de maïs, de mil, de sorgho et de manioc. Prenons le cas du maïs, denrée essentielle à l’alimentation dans plusieurs pays. Au Kenya par exemple, où les aliments dérivés du maïs comptent pour 35% de l’apport en calories, les prix ont chuté de 8%.
Aux bonnes récoltes s’ajoute la relative stabilité des cours du riz, qui ont augmenté modérément à l’échelle mondiale entre juin et décembre 2010. Il s’agit là d’un fait majeur, vu que le riz reste le principal aliment de base dans de nombreux pays en voie de développement, et aussi parce que la flambée des cours du riz a été l’un des principaux déclencheurs de la crise alimentaire de 2008.
Par ailleurs, on observe que de nombreux pays africains affichent la volonté de réduire leur dépendance des denrées importées comme le blé pour se tourner davantage vers les produits de substitution locaux. Ceux-ci coûtent en général moins chers, puisque n’étant pas sujets aux fluctuations des cours internationaux. C’est ainsi qu’au Soudan et au Mali, une augmentation de l’offre du sorgho a permis de faire reculer le prix de 37% et 13% respectivement. Il en va de même pour l’Éthiopie et le Kenya, où le prix du maïs local a baissé de 8% dans les deux cas. Au Mozambique et au Cap-Vert, c’est le prix du manioc qui a chuté respectivement de 39% et 26%.
Épargner les populations vulnérables
Malgré cette vue d’ensemble positive, la prudence reste de mise. « S’il est vrai que, globalement, les prix sont restés stables dans de nombreuses régions d'Afrique, il n’en demeure pas moins qu’un nombre important de pauvres restent affamés ou continuent de vivre dans une insécurité alimentaire chronique », souligne Hassan Zaman, Économiste principal à la Banque mondiale, auteur du Food Price Watch. « Les progrès qui ont permis d’aboutir à une meilleure productivité agricole doivent être accompagnés des mesures visant à accroître les revenus des pauvres et à renforcer les filets sociaux de sécurité et les interventions nutritionnelles », ajoute-t-il.
En effet, lorsqu’ils se sentent acculés sur le plan économique, les ménages à faible revenu ont tendance à recourir davantage aux aliments « bourratifs » plus abordables, mais qui restent malheureusement sans grand apport nutritionnel. Or les carences d’ordre diététique ont des conséquences néfastes sur les enfants en bas âge, les femmes enceintes, les mères qui allaitent et les nouveau-nés. Le Burundi, qui a connu une augmentation de 41% du prix du riz et de 48% de celui des haricots, est particulièrement vulnérable sur ce point. Il en va de même pour la République démocratique du Congo, où le prix du manioc –aliment qui contribue à 53% de l’apport calorique dans le pays – a augmenté de 20% entre juin et décembre 2010.
Fort de cette observation, Food Price Watch revient sur la nécessité pour les décideurs de recourir aux « filets de protection sociale », autrement dit des mesures visant à amoindrir l’impact de la flambée des prix des denrées alimentaires sur les familles et individus vulnérables.
Sur ce plan, la Banque mondiale a mis en place depuis mai 2008 un Programme d’intervention en réponse à la crise alimentaire mondiale (GFRP), avec comme objectif d'aider les pays les plus durement frappés par l'augmentation des prix.
A ce jour une vingtaine de pays africains ont bénéficié d’une assistance dans le cadre du GFRP. Les fonds ainsi débloqués sont orientés vers les programmes de nutrition scolaire, l’achat d’engrais et autres intrants agricoles, la réduction des taxes sur les importations des produits alimentaires, l’irrigation et les infrastructures clés à l’acheminement des produits agricoles vers les marchés.
Trouver des solutions à long terme
Au-delà de l’assistance à court et à moyen terme, la Banque aide aussi les pays africains à se positionner sur un schéma durable qui met l’accent sur les petits exploitants agricoles, la chaîne de valeur et la gestion rationnelle et durable des terres. C’est le cas par exemple des projets dits « Fadama » qui sont en cours au Nigeria, pays le plus peuplé d’Afrique.
Ces projets ciblent les pauvres vivant en milieu rural — agriculteurs, éleveurs, pêcheurs, commerçants —, mais aussi les groupes défavorisés tels que les veuves, les handicapés, les jeunes désœuvrés, ainsi que les personnes vivant avec le VIH/Sida, entre autres. A ce jour, les projets « Fadama » ont permis d’accroitre les revenus ou augmenter les avoirs de plus de 3 millions de bénéficiaires, mais aussi de partager les connaissances et de minimiser les conflits intra-communautaires.
Mais prévenir vaut mieux que guérir, dit-on. C’est pourquoi Food Price Watch recommande plus de transparence sur les stocks alimentaires des plus gros exportateurs, afin d’empêcher l’effet de panique causé par une incertitude quant à la disponibilité réelle des denrées de première nécessité. La publication régulière des données relatives aux récoltes devrait également permettre de diminuer l’impact de la spéculation.
En deuxième lieu, les experts insistent sur la nécessité d’éviter l’interdiction des exportations. Il faudra aussi augmenter l’assistance accordée aux pays particulièrement exposés, notamment les importateurs de denrées. Au regard de la vulnérabilité des populations pauvres face au changement climatique, il y a lieu de mettre l’accent sur les techniques agricoles durables, ainsi que les mesures d’adaptation. Enfin, les analystes demandent d’investir davantage dans la recherche des biocarburants à base de produits non-alimentaires.