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L’article de Gooré Bi Hué portant sur ‘’la naissance d’une bourgeoisie rurale en Côte d’Ivoire’’ (Frat. Mat, n°13.786, du jeudi 21 octobre 2010), pose plusieurs problèmes. La formulation confuse de l’intitulé de l’article suppose d’abord une méconnaissance de l’histoire de la Côte d’Ivoire  dont le combat anticolonialiste a été porté par la bourgeoisie agraire naissante regroupée au sein du syndicat agricole africain (SAA), plus tard par le Pdci. Question de méthodologie ensuite, quant à la compréhension de la bourgeoisie en tant que classe sociale qui transcende les variations de revenus, qui ne sont qu’un indice visuel de consolidation ou de dégénérescence de cette classe sociale. Analyse.

 

L’intitulé de l’article de Gooré Bi Hué s’oppose à l’histoire de la Côte d’Ivoire, sa lutte contre le colonialisme français et les moyens politiques utilisés dans cette lutte. Au commencement était le Pdci. Issu du syndicat agricole africain (SAA), créé en 1944 pour défendre les intérêts des planteurs africains. Le critère d’appartenance à ce syndicat était déterminé par la  superficie   détenue par le postulant : deux (2) ha de café ou trois (3) ha de cacao d’un seul tenant. Ce sont alors 20.000 Africains qui constituèrent le SAA. Et les raisons de la création du syndicat ont été expliquées par son président, Félix Houphouët Boigny lui-même. Constatant la chute de la production des deux produits phares de la Côte d’Ivoire (la production étant tombée en 1944, de 50.000 tonnes à 9.000 tonnes et celle du café de 36.000 tonnes à 18.000 tonnes alors que les Métropolitains sauvaient leurs 5.000 tonnes, du fait qu’ils utilisaient la main-d’œuvre gratuite africaine tandis que les indigènes qui produisaient 45.000 tonnes, ont vu chuter leur production à 4.000 tonnes). « C’est la raison pour laquelle, expliquait  Félix Houphouët Boigny, nous avons décidé, en 1944, de prendre nous-mêmes en mains la défense de nos intérêts… On vit essentiellement de l’agriculture.  Nous ne pouvions donc pas assister, impuissants, à la ruine des agriculteurs dont dépendait le sort de la population entière de notre territoire ».

Cette bourgeoisie agraire naissante, composée dès la naissance du SAA de 20.000 agriculteurs africains, va constituer plus tard la cheville ouvrière du Pdci, puis du Rda, dirigera la lutte politique contre le colonialisme français en Côte d’Ivoire. Il s’avère donc que, contrairement aux directions petites bourgeoises des autres sections du Rda, la direction ivoirienne était composée de la bourgeoisie agraire naissante, dont la lutte d’émancipation contre la fraction française de la bourgeoisie, lui a permis, au nom de la lutte contre les travaux forcés, de rassembler, regrouper, organiser et centraliser toutes les populations ivoiriennes et africaines vivant sur le territoire ivoirien contre le colonialisme français. L’acquisition de l’indépendance politique et la gestion de l’appareil d’Etat seront un puissant moyen mis à profit pour le renforcement et la consolidation de cette bourgeoisie agraire. A cet effet, le slogan  de Félix Houphouët Boigny de la ‘’terre appartient à celui qui la met en valeur’’ a été un important adjuvant du renforcement du poids de cette bourgeoisie qui a vu son nombre croître par l’intégration de tous ceux que le journaliste appelle, faute d’un vocable approprié, ‘’la bourgeoisie d’une certaine catégorie d’élites politiques puis administratives et privées’’.

Cette fraction des hauts cadres de l’administration (publique et privée) ne constitue guère une ‘’bourgeoisie bureaucratique’’, simplification  théorique héritée du stalinisme ambiant de l’époque et dont la méthodologie de l’analyse sociale occulte le critère d’existence matérielle d’une classe sociale dans le procès de production. La bourgeoisie étant liée à l’appropriation privée des moyens de production. Quant à la ‘’bourgeoisie bureaucratique’’, elle caractérise les représentants nationaux de l’impérialisme international, courtiers, intermédiaires et entremetteurs de cet impérialisme. Et leur existence étant liée à la gestion de l’appareil d’Etat et aux prébendes à eux versées. Ce qui explique leur propension aux compromis politiques, gage de leur survie en tant que couche sociale parasitaire.

La bourgeoisie agraire ivoirienne existe

   Elle s’est organisée en 1944 pour conquérir le pouvoir politique en 1960. La politique économique du Pdci-Rda a certes renforcé ses rangs. Mais les crises structurelles récurrentes de l’Etat ivoirien combinées à l’incapacité d’une mutation portant sur les moyens de production qui demeurent archaïques, fragilise ses membres qui s’échinent à la tâche (à la houe, à la daba, à la machette) sans pouvoir joindre les deux bouts, tirant le diable par la queue. Le journaliste cite à cet effet une étude : ‘’Selon une étude sur les filières agricoles ivoiriennes… la plupart des productions agricoles ivoiriennes ont retrouvé  une nouvelle vitalité sous l’impulsion des cours rémunérateurs’’. Analyse phénoménologique du processus en cours. Conjoncturellement, les cours rémunérateurs profitent certes aux planteurs ivoiriens, toutes catégories confondue, mais principalement à ceux ayant une production intensive. Cependant structurellement, nous assistons à une réduction du nombre des planteurs ruinés par la mécanisation de la production agricole. L’apparence du processus en cours dans le monde rural est donc contrastée, contradictoire et tendanciellement renforce la couche qui se modernise afin d’affronter avec un minimum de bonheur la concurrence générée par l’insertion de plus en plus grande de l’économie nationale dans l’économie mondiale.

Et nous ne partageons donc pas la conclusion du journaliste quand il affirme que : « Au regard de ce qui précède, l’on peut affirmer que la richesse apparaît progressivement en milieu rural et qu’une certaine bourgeoisie rurale est en train de naître ». Nous avons expliqué qu’elle ‘’n’est pas en train de naître’’ mais qu’elle existe bel et bien depuis 1944. Et, sous l’impulsion de la concurrence internationale elle est contrainte à se consolider. Il justifie ensuite sa thèse  par la consommation ostentatoire de cette classe. Nous avons également expliqué que ce ne sont pas les signes extérieurs de richesse qui définissent une classe ou catégorie sociale. Il était plutôt indiquer de mettre en garde face à de telles pratiques de consommation qui ne font que singer les habitudes de la petite bourgeoisie urbaine endettée jusqu’au cou. La bourgeoisie agraire afin de pérenniser son assise économique, doit être porteuse d’une révolution copernicienne, par une agriculture extensive et mécanisée. La rationalisation des moyens de production (qui) seront des facteurs consolidant les assises économiques du monde rural. Un vaste champ s’offre à la bourgeoisie agraire à la seule condition qu’elle emprunte la voie de la modernisation et de la mécanisation de son exploitation agricole. Telle est notre contribution.

 

 

 

 

- Rapport n°11.348 sur les incidents survenus en  Côte d’Ivoire ou rapport Damas (député à l’Assemblée nationale française)

Tag(s) : #Economie
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