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Au XVIIe siècle, dans des sociétés profondément inégalitaires, la plupart des souverains et des membres de la haute noblesse pratiquent à leur aise la galanterie, comme dans les siècles précédents, avec parfois des raffinements de violence.

Mais un revirement s'amorce peu à peu dans les mœurs et les idées, sous l'influence de la bourgeoisie montante. Il va s'exprimer pleinement dans le puritanisme du XIXe siècle...

André Larané
Frivolité des moeurs

Suite aux guerres de religion et à l'émergence d'une philosophie agnostique, on voit apparaître dans les campagnes comme dans l'aristocratie des formes d'indifférence religieuse.

Elles coïncident avec un relâchement des mœurs dans les cours européennes, chez les Bourbons bien sûr mais aussi chez les Habsbourg de Madrid et les Stuart de Londres. Même la luthérienne Suède fait parler d'elle avec les frasques de la reine Christine.

En Angleterre, le roi Charles 1er paie de sa tête les écarts de conduite de ses favoris et en particulier du duc de Buckingham.

À Versailles, le vieux roi Louis XIV s'émeut des frasques et, parlons clair, des crimes des jeunes libertins de la cour : «tortures sadiques infligées à des prostituées, assassinat d'un jeune marchand de gaufres qui résistait à l'odieuse bande d'aristocrates pédérastes en chaleur. Tous sont au-dessus des lois : fils du roi, fils de Colbert, neveu de Condé, duc de La Ferté, marquis de Biran, et quelques autres...» (Georges Minois, Bossuet). À quoi s'ajoutent messes noires et sorcellerie, illustrées par l'affaire des Poisons.

Au «Siècle des Lumières» (le XVIIIe), les paysans voient en Europe occidentale leurs conditions de vie s'améliorer. Dans les villes s'affirme une bourgeoisie prospère, tant dans le commerce et l'industrie que dans l'administration. Mais dans les cercles aristocratiques, qui accumulent privilèges et richesses, le libertinage et la galanterie ne rencontrent plus guère d'obstacle.

Cela se vérifie en France comme en Angleterre et dans la plupart des autres pays européens. Montesquieu écrit en 1729 : «Point de religion en Angleterre. Un homme ayant dit, à la Chambre des Communes : ''Je crois cela comme article de foi'', tout le monde se mit à rire» (cité par André Maurois, Histoire de l'Angleterre).

Les Anglais se souviennent de cette époque avec nostalgie sous le nom de «Merry England». C'est l'Angleterre joyeuse, rurale, décomplexée et débridée, qu'évoque le cinéaste Stanley Kubrick dans le film Barry Lyndon (1975).

En France, le roi Louis XV, las de son épouse polonaise, se jette dans les plaisirs avec une démesure inconnue de son aïeul Louis XIV. La marquise de Pompadour aménage l'hôtel du Parc-aux-Cerfs, à Versailles, pour les rencontres clandestines du vieux roi avec de très jeunes filles (façon Silvio Berlusconi).

Louis XVI, petit-fils et successeur du précédent, est un jeune homme timide et sans appétit sexuel. Il n'est pas plus populaire pour autant et les médisances pleuvent sur son épouse, Marie-Antoinette, «l'Autrichienne». Pierre Choderlos de Laclos illustre dans Les liaisons dangereuses (1782) les mœurs délétères de l'aristocratie.

Les jeunes États-Unis eux-mêmes n'y échappent pas. La nouvelle République est dirigée par de riches planteurs virginiens qui vivent selon les mœurs de la vieille Europe. Parmi eux, le futur président Thomas Jefferson suscite des commérages lors de son ambassade en Europe du fait d'une liaison avec une esclave noire dont il aura des enfants.

À Saint-Pétersbourg, Catherine II fait assassiner son mari par l'un de ses amants puis gouverne la Russie avec une poigne de fer tout en distribuant ses faveurs aux jeunes hommes de son entourage.

Chez les Bourbons d'Espagne, le scandale n'est pas moindre. À Madrid, en 1788, Godoy, un parvenu de petite noblesse, devient l'amant de la reine Marie-Louise et le conseiller du roi Charles IV.

À Londres, le roi George III affiche une conduite décente jusqu'à ce qu'il soit frappé par une douce folie en 1810. Son fils, qui devient Régent puis roi sous le nom de George IV, en 1820, se montre quant à lui plus débauché que quiconque. Cela lui vaut le surnom de «Prinny» (scandaleux).

Marié secrètement à une catholique, il est contraint de se marier une deuxième fois avec une princesse plus présentable. Bigame de fait, il multiplie par ailleurs les liaisons adultérines. Il a de nombreux bâtards mais aucun enfant légitime pour lui succéder quand il meurt en 1830, victime de l'obésité, de la goutte et de l'alcool.

Son frère Guillaume IV lui succède brièvement avant de laisser le trône à une jeune nièce Victoria, une pure jeune fille de 18 ans. Il n'était que temps car, en Angleterre comme sur le Continent, les frasques de la royauté et de la haute aristocratie commençaient à lasser l'opinion.

Amours romantiques, ménages puritains

Dès avant la Révolution française, une nouvelle sensibilité s'est fait jour dans la bourgeoisie montante, en France et en Europe. Elle est illustrée par l'œuvre de Jean-Jacques Rousseau (même si l'auteur de L'Émile a lui-même une conduite qui laisse à désirer). On encense l'amour conjugal, grande nouveauté, et aussi l'amour maternel. Les enfants ne sont plus seulement des faire-valoir et des bâtons de vieillesse. Ils deviennent des objets d'affection.

La Révolution amène au pouvoir des notables de province qui, pour la plupart, vivent sagement, voire de façon monastique comme Robespierre. L'exception la plus notable est Mirabeau, député issu de la noblesse provençale.

La fin de la Terreur entraîne une brève période d'euphorie sous le Directoire. Les gouvernants et les grands bourgeois étalent avec vulgarité leur fortune mal acquise (on pense ici à l'oligarchie russe du temps de Boris Eltsine). Malgré les toilettes vaporeuses des élégantes, cela ne vaut pas toutefois l'Ancien Régime. «Qui n'a pas vécu dans les années voisines de 1789 n'a pas connu le plaisir de vivre», confiera Talleyrand - fin connaisseur - à Guizot.

Le maître de l'Europe, Napoléon 1er, aurait bien aimé restaurer ce plaisir de vivre mais l'humeur n'y est plus. Lui-même est plus à l'aise dans les bivouacs que dans les alcôves. Ce n'est pas un grand séducteur mais plutôt un amant à la hussarde, comme le montrent les récits que font ses maîtresses de leurs relations.

Ses successeurs Louis XVIII et Charles X ne modifient pas la donne, non plus le «roi-bourgeois» Louis-Philippe 1er, époux modèle de Marie-Amélie. C'est que l'Europe fait sa révolution industrielle et les bourgeois mettent toute leur énergie dans cette entreprise. «S'enrichir par le travail et l'épargne», selon l'exhortation de Guizot, est incompatible avec la prodigalité de l'ancienne aristocratie.

Adolphe Thiers, bourgeois typiquement balzacien, épouse à 35 ans Élise Dosne (15 ans), la fille de sa maîtresse Sophie Dosne, épouse du receveur général de Brest. Il encaisse pour l'occasion une copieuse dot de 300.000 francs. Le mariage demeurera stérile et la mariée très distante à l'égard du grand homme, dont l'intérêt continue à se porter plutôt sur sa mère.

Les changements de mœurs sont pleinement illustrés par le mariage d'amour de la reine Victoria avec son cousin allemand, le prince Albert de Saxe-Cobourg-Gotha. Celui-ci a souffert dans son enfance d'une famille éclatée. Par réaction, il impose à sa jeune épouse et à la cour anglaise une extrême rigueur de comportement que l'on qualifiera plus tard de «victorienne» («albertienne» eut mieux convenu).

On stigmatise les relations hors mariage et le plaisir solitaire cependant que l'on encense l'amour chaste et son exutoire naturel, le mariage. La bourgeoisie accueille avec transport cette nouvelle éthique. Victor Hugo, qui n'est pas lui-même un parangon de vertu conjugale, fait pleurer ses lecteurs avec le pur amour de Cosette et Marius dans Les Misérables (1862).

Les Églises chrétiennes s'y rallient également. Rien de surprenant en ce qui concerne les luthériens et les calvinistes, de tous temps alignés sur les valeurs bourgeoises et démocratiques. Plus inattendu est le revirement de l'Église catholique qui, sous l'Ancien Régime, par la voix des jésuites, savait se montrer compréhensive à l'égard des pécheurs. Que l'on se souvienne des dialogues savoureux mis en scène par Pascal dans Les Provinciales...

La discrétion est la règle

Dans la pudibonderie ambiante, Louis-Napoléon Bonaparte fait tache. Il accède au pouvoir grâce au soutien financier d'une riche maîtresse anglaise, Miss Howard. Devenu empereur des Français sous le nom de Napoléon III, il se montre plus attiré par le beau sexe que son oncle et fait de son règne une fête perpétuelle.

Les bourgeois prônent la fidélité conjugale mais celle-ci s'arrête à la porte des maisons closes. On peut se dire bon mari et bon père tout en fréquentant les luxueux établissements de plaisir qui font le charme de la «Belle Époque».

 

Pour ne pas compliquer les choses, une loi interdit les recherches en paternité. Il ne faudrait pas que des soubrettes réclament une aide au bourgeois qui leur a fait un enfant et salissent son honneur.

En pratique, il n'y a que les épouses qui soient menacées par le délit d'adultère. Georges Clemenceau, comme tous les hommes de son rang, prend du bon temps au bordel et s'offre quelques liaisons clandestines. Mais quand il découvre que sa femme, une Américaine qui lui a donné trois enfants, a eu une faiblesse pour un ami de passage, il la met illico sur un paquebot et la renvoie chez elle.

Les femmes se rapprochent du pouvoir

Les mœurs s'adoucissent au tournant du XXe siècle. L'hypocrisie n'est plus de mise. Français et Anglais se régalent des frasques du Prince de Galles, fils indigne d'Albert, qui succède à Victoria en 1901 sous le nom d'Édouard VII. Ce bon vivant ne se cache pas d'aimer les plaisirs, tout comme d'ailleurs feu le président Félix Faure, mort d'avoir trop aimé une demi-mondaine.

Plus sérieusement, les femmes supportent de moins en moins leur vocation de potiche et revendiquent même le droit de vote. Après la tragédie de la Grande Guerre, elles sont appelées à remplacer les défunts dans les usines, les bureaux et les champs. Il n'est plus permis de les mépriser. Le roman La Garçonne, de Victor Margueritte (1922), montre comment une jeune femme se venge d'avoir été trompée par son fiancé.

Parallèlement, la deuxième révolution industrielle (production à la chaîne et grande série) conduit à un resserrement des revenus, à l'émergence d'une classe moyenne majoritaire ainsi qu'au renforcement des institutions représentatives et à l'apparition d'une presse populaire à grand tirage. Même dans les régimes dictatoriaux de l'entre-deux-guerres, l'oligarchie ne peut plus comme par le passé assouvir ses pulsions en toute impunité.

- Les hommes ne se refont pas

L'un des plus illustres séducteurs de l'époque est le général Philippe Pétain. Les femmes sont folles de lui et le poursuivent jusque sur le front, pendant la Grande Guerre. Jusqu'à un âge très avancé, il continuera de leur rendre hommage. Cela permet de mieux comprendre l'idolâtrie dont a bénéficié le Maréchal pendant le deuxième conflit mondial.

Autre grand séducteur, Benito Mussolini. De riches maîtresses se sont ruinées pour l'aider à accéder au pouvoir, sans qu'il leur en ai gardé beaucoup de reconnaissance (voir le film Vincere de Marco Bellocchio, 2009, sur le triste sort d'Ida Dalser). Le Duce sera exécuté et pendu à la fin de la partie avec l'une de ses dernières maîtresses, Clara Petacci.

Tout cela n'a rien à voir avec les autres «monstres» de l'époque : Hitler est populaire auprès des femmes mais a une relation pathologique avec le sexe. Sa nièce Geli se suicide dans des conditions mystérieuses dans leur appartement de Munich en 1931. Et on ne connaît au Führer aucune maîtresse certaine, hormis Eva Braun avec qui il cultive une relation tout sauf romantique jusqu'à leur suicide apocalyptique. Lénine, entre sa femme et sa maîtresse, fait figure de bourgeois rassis. Quant à Staline, homme à femmes, il conduit assez normalement celles-ci dans la folie ou la mort.

Plus rafraîchissant est le cas de Franklin Delanoo Roosevelt. Il a épousé une nièce de Théodore Roosevelt, un lointain cousin qui fut aussi président des États-Unis. Eleanor lui a donné cinq enfants et prend à cœur son rôle de «First Lady» en s'investissant dans des actions caritatives et des associations féminines.

Mais, révulsée par les infidélités de son mari, elle se console avec Lesbos. L'amitié et le soutien de la journaliste et romancière Lorena Hickok lui valent d'acquérir une grande popularité.

Les médias idéalisent le couple Roosevelt, occultant au passage la maladie du président qui l'empêche de marcher (films et photos le montrent toujours assis ou soutenu par deux colosses).

Les journalistes font mine de rien quand ils interviewent le président tandis que sa secrétaire «Missy» (Marguerite LeHand) se prélasse sur un sofa. Il ne s'agit pas de troubler l'image du président qui a la charge écrasante de guider les Américains à travers la Grande Dépression et la Seconde Guerre mondiale.

L'autre héros de l'heure, Winston Churchill, a une vie sentimentale des plus tranquilles. Son énergie phénoménale est toute entière dissipée dans l'action, sur les champs de bataille, dans les salles de rédaction, sur les bancs des Communes et bien sûr à son bureau de Premier ministre. Son épouse Clementine lui a donné cinq enfants. On ne lui connaît aucune infidélité mais il a pardonné à sa femme une fugue avec un amant occasionnel.

Côté français, Charles de Gaulle a connu, avant la Grande Guerre, une vie de garnison «agitée». Il était à bonne école sous les ordres du colonel Philippe Pétain ! Mais il s'est ensuite rangé en épousant la très sage Yvonne Vendroux et n'a jamais offert la moindre prise aux rumeurs, tout occupé qu'il était de la seule maîtresse qui lui importait, la France.

- «American lovers»

Le monde politique connaît sa première grande affaire de mœurs en 1963 avec la mise hors course en 1963 de John Profumo. Ce dirigeant anglais talentueux et honnête est contraint à la démission pour avoir noué une relation avec une prostituée de luxe liée aux services secrets soviétiques.

La même année, l'assassinat de John Kennedy libère la parole des journalistes. Ceux-ci révèlent par petites touches l'extraordinaire appétit sexuel du président américain et par exemple ses liens avec Marilyn Monroe. L'actrice partageait ses faveurs entre le président et son frère Bob.

Du vivant du président, les médias avaient eu soin d'entretenir l'image d'un couple présidentiel idyllique. Cette image rassérénait les classes moyennes qui, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, s'étaient ralliées à un modèle familial inédit : papa, maman, trois enfants et un bon salaire. De ce modèle, nous conservons la nostalgie en oubliant qu'il n'a jamais existé en aucune autre époque de l'Histoire...

Lyndon Baines Johnson, qui succède à Kennedy, s'irrite de la réputation de celui-ci. Plus âgé et moins photogénique, il n'en est pas moins un redoutable séducteur. «Kennedy courait après les femmes ; moi, je les tombe sans même m'en rendre compte», confiait-il à qui voulait l'entendre. Johnson va accélérer l'engagement américain au Vietnam mais il va aussi poursuivre et amplifier les grandes réformes sociales engagées par son prédécesseur.

Sexe et réforme

Lesquels, des séducteurs ou des puritains, sont les plus qualifiés pour diriger un grand pays ? L'Histoire n'offre heureusement pas de réponse catégorique mais quelques précieuses indications.

Parmi les grands hommes du passé à la sexualité sage ou modeste, nous relevons : Robespierre, Lincoln, Thiers, Gladstone, Lénine, Hitler, Churchill, de Gaulle et dans une certaine mesure Napoléon 1er... À part Gladstone, tous ont attaché leur nom à une entreprise guerrière, voire criminelle (la Terreur avec Robespierre, la Commune avec Thiers...).

Rappelons maintenant quelques personnalités à la sexualité débordante : Napoléon III, Mussolini, Atatürk, Pétain, Roosevelt, Kennedy, Johnson... Plus près de nous, évoquons Giscard d'Estaing, Mitterrand, Clinton ou encore Chirac. Plusieurs ont laissé avant tout le souvenir de grandes réformes sociales, tout en attachant là aussi leur nom à une entreprise guerrière.

Bien entendu, ces listes n'ont rien d'exhaustif ni d'objectif. Elles constituent une base modeste pour notre réflexion.

Les féministes et le sexe

L'élection en 1980 d'un ancien acteur d'Hollywood, Ronald Reagan, divorcé et remarié, atteste de l'ouverture d'esprit des Américains. Comme les Français, ils se montrent indifférents à la vie sentimentale de leur président pourvu que celui-ci fasse son «job» et ne transgresse pas la loi.

Les choses changent subrepticement dans la décennie suivante. Le président Bill Clinton est mis sur la sellette et échappe de peu à la démission pour avoir eu une relation consentante avec une stagiaire à la Maison Blanche.

C'est qu'entre temps, le courant féministe a progressé dans les mentalités, en stigmatisant les comportements machistes de la classe dominante et les relations sexuelles obtenues par abus de pouvoir. Le harcèlement sexuel de la part d'un supérieur hiérarchique ne fait plus sourire personne.

Ce courant féministe est limité pour l'heure à l'Europe et au Nouveau Monde européen (Amériques et Australasie). Il commence à imprégner les mentalités orientales (Afrique du nord et Moyen-Orient), plus sensibles qu'on ne le croit à la modernité occidentale.

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