Périodiquement, la presse remonte à la lumière des affaires de moeurs qui impliquent des gouvernants.
Il est vrai que le pouvoir attise les passions mais le survol de l'Histoire montre que ce phénomène a beaucoup évolué selon l'époque et le lieu, des temps préhistoriques à nos jours...
Sexualité et le pouvoir sont liés depuis la nuit des temps comme nous le rappellent Claude Lévi-Strauss et ses confrères anthropologues.
Dans les sociétés paléolithiques comme dans les dernières communautés de chasseurs-cueilleurs, en Amazonie et en Papouasie, les guerres étaient motivées avant toute chose par le souci de s'approvisionner en femmes.
Ces guerres étaient au demeurant bien moins meurtrières que celles de notre Néolithique finissant. Elles permettaient aux groupes nomades de se mélanger et, d'une certaine manière, de se rapprocher.
On en retrouve la trace dans les mythes qui s'attachent à la fondation de Rome, avec le rapt des Sabines par les compagnons de Romulus. Les jeunes filles ayant eu le loisir d'apprécier les charmes de leurs ravisseurs, elles vont négocier une alliance entre leurs pères et leurs amants. Ce sera le début de la prodigieuse expansion de Rome.
Un autre mythe témoigne du chemin accompli par les rudes Romains. C'est celui de Lucrèce, l'épouse vertueuse d'un jeune patricien. Elle est violée par le fils du roi Tarquin et se suicide après avoir révélé son déshonneur. D'indignation, son époux et ses amis se soulèvent contre le régime, chassent le roi et installent la République.
À la fin de la République et sous l'Empire, cette nostalgie d'un Âge d'Or fondé sur la vertu conjugale se confronte à la réalité d'une oligarchie richissime et toute-puissante. Le grand Jules César suscite l'ironie de son entourage et de ses soldats par ses mœurs bisexuelles dissolues.
Ses successeurs ne lui seront pas inférieurs en matière de luxure. La cour impériale est le lieu de scandales sans nombre au 1er siècle de notre ère.
C'est le vieux Tibère nageant avec ses mignons dans la grotte bleue de Capri ; c'est Messaline, épouse de l'empereur Claude, se prostituant dans les bouges de Rome ; c'est Néron tuant d'un coup de pied son épouse Poppée, enceinte...
Dans les derniers siècles de Rome, les chroniqueurs s'attardent moins sur les turpitudes des puissants ; ce n'est pas qu'elles soient moindres... Il n'est que de lire Le Satiricon, un roman sans doute écrit à la fin du IIe siècle.
Les classes moyennes romaines se montrent plus respectueuses de la tempérance prônée par les philosophes : les chroniques et les stèles funéraires attestent de l'amour conjugal.
Celui-ci n'exclut toutefois pas les amours ancillaires (relations sexuelles avec les servantes et les esclaves), jugées comme allant de soi.
Au tournant de l'An Mil, après les invasions barbares et les violences de la société féodale, l'Église prend les choses en main. Elle stigmatise les mariages forcés et la répudiation ainsi que le goût des seigneurs féodaux pour une polygamie de fait. Elle condamne aussi la consanguinité et l'inceste (cette notion est très large au Moyen Âge).
Deux rois capétiens, Robert II et son petit-fils Philippe 1er, font les frais de cette sévérité et sont excommuniés par le pape.
Aux XIIe et XIIIe siècles, les mœurs communes demeurent d'une grande brutalité (lire le roman de Ken Follett : Les Piliers de la Terre).
Beaucoup de seigneurs et maîtres ne se privent pas de forcer servantes et paysannes, mais en-dehors de toute légalité. Le «droit de cuissage» est une pure invention des historiens républicains du XIXe siècle
Un changement s'amorce en ce qui concerne le regard porté par les nobles et les bourgeois sur les femmes de leur classe.
Les troubadours inventent un sentiment nouveau, l'amour. Celui-ci, à leurs yeux, n'a pas grand-chose à voir avec le mariage. C'est ce qui fait son charme. Dans les légendes du roi Arthur, il rapproche une reine et un chevalier servant, Guenièvre et Lancelot, Iseut et Tristan.
Il n'empêche que les rois capétiens, sermonnés par l'Église, préfèrent chercher la félicité auprès de leur épouse unique et légitime.
En 1226, Louis VIII le Lion, fils de Philippe Auguste, rentre d'une expédition contre les gens du Midi. Il tombe malade de dysenterie sur le retour et les médecins lui suggèrent comme remède, à défaut de mieux, l'étreinte d'une vierge. Le roi refuse avec tout ce qui lui reste d'énergie et meurt l'âme en paix.
Son fils Louis IX (futur Saint Louis) est un souverain joyeux et plein de vie. Marié à 20 ans à Marguerite de Provence, il lui fait onze enfants et lui sera toujours fidèle, n'ayant de cesse de lui rendre hommage, malgré les remontrances de sa mère, la pieuse Blanche de Castille.
Tout aussi fidèles en mariage seront ses descendants, notamment Philippe IV le Bel, époux de Jeanne de Navarre et Charles V le Sage, époux de Jeanne de Bourbon.
À la faveur du concile Latran IV (1215), l'Église rappelle solennellement sa doctrine en matière de mariage :
- les époux doivent exprimer leur engagement en public, preuve que leur union est volontaire et non contrainte,
- le mariage est indissoluble sauf en cas d'inceste ou d'impuissance masculine ; c'est une façon d'affirmer le devoir d'assistance entre les époux et d'empêcher les répudiations de convenance.
Contrairement à une idée convenue et à l'exception de quelques théologiens obtus, l'Église se montre compréhensive à l'égard des relations sexuelles.
Elle condamne les relations hors mariage, pour protéger les filles contre la violence masculine et les grossesses non désirées. Elle condamne de même l'adultère. Les personnes concernées, en état de péché mortel, peuvent toutefois obtenir le pardon en confessant leur faute et en faisant pénitence.
L'adultère, en particulier, ne justifie en aucune façon la rupture du mariage et du projet familial qu'il sous-tend. Après le scandale de la tour de Nesle, les brus du roi Philippe le Bel, convaincues d'adultère, seront enfermées dans un couvent mais sans que leur époux puisse se remarier.
En France, il faudra attendre une loi républicaine de 1886 autorisant le divorce pour «faute» pour que soit sacralisé le lien entre mariage et fidélité.
Les mœurs changent au XIVe siècle, chez les Français comme chez leurs cousins anglais, à l'époque de la guerre de Cent Ans.
Des femmes sont à l'origine des premiers scandales sexuels : les brus de Philippe le Bel, on l'a vu, mais aussi sa propre fille Isabelle, surnommée la «Louve de France». Mariée au roi anglais Édouard II qui la néglige au profit de ses mignons, elle le fait emprisonner et tuer en 1327 avec l'aide de son amant Mortimer. Son fils Édouard III vengera l'honneur familial.
Près d'un siècle plus tard, une autre reine fait jaser. Il s'agit d'Isabeau de Bavière, épouse du roi de France Charles VI le Fou. La rumeur lui prête - sans doute bien à tort - de nombreux amants dont son beau-frère Louis d'Orléans.
Accablé par les malheurs de sa famille et du royaume, son fils a triste mine quand il monte sur le trône sous le nom de Charles VII. Heureusement, il est soutenu par sa belle-mère Yolande d'Aragon et rencontre Jeanne d'Arc, qui va lui redonner courage et énergie.
Dans ses vieux jours, le roi retrouve enfin le sourire avec une jeune amante, Agnès Sorel. C'est la première d'une longue série de maîtresses officielles.
1492. L'année se signale par la découverte de l'Amérique mais aussi par l'accession à la papauté d'un certain Rodrigo Lançol y Borgia, sous le nom d'Alexandre VI Borgia.
À côté de ce pape tourné plus que quiconque vers le péché de chair, les rois font figure d'enfants de cœur, y compris François 1er, premier roi de France à collectionner les maîtresses officielles : Françoise de Châteaubriant et Anne de Pisseleu, duchesse d'Étampes, sans compter la Belle Ferronnière...
Son fils et successeur Henri II est plus sage et se satisfait de Diane de Poitiers, à côté de son épouse Catherine de Médicis.
Il n'empêche que «la magnificence et la galanterie n'ontjamais paru en France avec tant d'éclat que dans lesdernières années du règne de Henri second», dixit Mme de Lafayette (La princesse de Clèves). Ce jugement est corroboré par Les vies des dames galantes, un recueil plaisant de Brantôme.
Les mœurs ne se dissipent pas seulement à la cour des Valois. À la cour des Habsbourg, une bourgeoise de Ratisbonne donne à Charles Quint un bâtard talentueux qui sera légitimé par l'empereur, Don Juan d'Autriche.
À la cour des Tudor, de l'autre côté de la Manche, les scandales s'enchaînent sous le règne du roi Henri VIII, six fois marié, comme sous celui de sa fille Elizabeth 1ère. La rumeur prête à la «reine-vierge» des liaisons clandestines mais rien de comparable à sa cousine Marie Stuart.
Veuve du roi de France François II, celle-ci se remarie avec un lord écossais sur un coup de tête, prend un amant italien que son mari exécute sous ses yeux, puis ordonne elle-même le meurtre de son mari avec l'aide d'un nouvel amant, écossais celui-là.
Au XVIIe siècle, Henri IV inaugure en beauté la dynastie des Bourbons, avec des maîtresses par dizaines. Il y gagne même le surnom de «Vert-Galant». Tout cela ne prête pas à conséquence, sauf la tentation du roi d'épouser l'intrigante Gabrielle d'Estrées. Celle-ci étant morte en couches, le roi devra se satisfaire d'un mariage plus politique avec Marie de Médicis.
Louis XIII, son fils et successeur, se montre à l'inverse d'un naturel timoré et très réservé à l'égard des femmes, y compris de la sienne, Anne d'Autriche. C'est à Louis XIV, leur fils, que reviendra l'honneur de restaurer la tradition galante.
On lui connaît de nombreuses favorites, de Mlle de la Vallière à Françoise de Montespan et Angélique de Scorraille, duchesse de Fontanges. Il a le bon goût de légitimer ses bâtards et envisage même un moment de laisser le trône à l'aîné de la Montespan, le duc du Maine.
Ramenons les écarts du Roi-Soleil à leur juste mesure : de sa vingtième année à son remariage avec Mme de Maintenon, en 1683, à l'âge de 45 ans, Louis XIV n'aura vécu qu'un tiers de sa vie «dans le stupre». Il a ensuite renoncé aux écarts et s'est satisfait des charmes mûrs de sa deuxième épouse.
Faut-il l'en féliciter ? Notons que les meilleurs moments du règne concernent la période où il a vécu dans les plaisirs, au milieu de ses maîtresses et favorites. Quand il y a renoncé, le royaume est entré dans une période sombre : révocation de l'Édit de Nantes, dévastation du Palatinat, guerres de la Ligue d'Augsbourg et de la Succession d'Espagne, famines et révolte des Camisards... N'y voyons qu'une coïncidence.
À la fin du XVIIe siècle, en Angleterre, un renouveau politique et religieux prépare un changement de cap en matière de moeurs. Celui-ci prendra toute son ampleur au XIXe siècle...
Les guerriers qui ont bâti l'Europe au Moyen Âge et aux Temps modernes ont eu le souci de mélanger leur sang, comme les chasseurs du Paléolithique.
Sur les ruines de l'empire carolingien émergent les premiers États modernes. Leurs souverains, en guerre les uns contre les autres, prennent l'habitude de conclure ces guerres par des alliances matrimoniales, avec l'espoir de préserver ainsi la paix pendant quelque temps.
Très vite les dynasties européennes s'imbriquent les unes dans les autres de sorte que, sur le conflit perpétuel, se construit une identité commune.
Louis XIV est l'expression de ce paradoxe. Plus attaché que quiconque à la grandeur de son royaume, il a deux arrière-grands-parents français (ou navarrais), deux italiens, deux espagnols et deux allemands. Son lointain descendant Louis XVI compte quant à lui parmi ses ascendants les plus proches des Polonais, des Saxons, des Danois...
Ce phénomène est propre à l'Europe dynastique.
Dans l'empire ottoman voisin, construit par des Turcs nomades, rien de semblable : les sultans sont mis au monde par des concubines de toutes provenances comme la célèbre Roxelane. Ainsi les sujets ottomans sont-ils «esclaves de fils d'esclaves» ! Même chose dans la Chine des empereurs mandchous.
Dans le bassin méditerranéen, où est apparu le Néolithique, avec une agriculture fondée sur la possession du sol, les populations privilégient depuis plusieurs millénaires les mariages entre proches cousins. C'est tout le contraire des souverains européens. C'est qu'il leur importe avant tout de ne pas disperser les héritages. Ce phénomène, qui perdure dans les sociétés islamiques, a été analysé par Germaine Tillion (Le harem et les cousins, 1966).