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Tierno Monénembo

Côte d’Ivoire : Peut-on dénoncer l’action de la « communauté internationale » quand les communautés nationales sont muselées ?

 « Ecrivain engagé, j’aurais bien aimé l’être, mais n’ayant encore fourbi les armes contre aucuns des démons qui terrorisent notre époque, je ne me sens pas digne de porter ce label ». Cette confidence de Tierno Monénembo, écrivain franco-guinéen, Prix Renaudot 2008, à Tirthankar Chanda (Jeune Afrique du 1-7 juin 2008), prend une dimension toute particulière aujourd’hui.

Monénembo n’est pas homme à s’exposer inutilement sous les projecteurs de l’actualité. Serait-il peul sans cela ? Or le voilà qui, dans un papier publié par Le Monde (daté du mardi 4 janvier 2011), dénonce non seulement une « démocratie bafouée » en Côte d’Ivoire et en Guinée mais, plus encore, l’entreprise de « recolonisation » de l’Afrique par les Nations unies.

Ce que j’appelle « l’orgueilleuse humilité » des peuls ne les incite pas à s’engager dans le débat politique. Qu’il soit national ou international. Ils ont une vision trop aristocratique des choses de la vie pour condescendre à prendre des positions qui pourraient apparaître vulgaires - ou le résultat d’un compromis ; pire encore, d’une compromission. Je m’étonne donc de lire ce que Monénembo veut bien nous dire, aujourd’hui, de ce qui se passe en Côte d’Ivoire et en Guinée. D’autant plus que j’aime l’écrivain qu’il est et le peuple auquel il a consacré son « travail de mémoire » (Falda Weregemere dans je ne sais plus quel numéro de Jeune Afrique économie).

Que nous dit Monénembo ? « Qu’il plane sur la région [ouest-africaine] un « non-dit » tribal lourd de menaces pour l’avenir : tout sauf un Dioula au pouvoir à Abidjan, tout sauf un Peul au pouvoir à Conakry ». De la situation qui prévaut à Conakry, il dit encore que l’élection à la récente présidentielle de Alpha Condé résulte ainsi du fait qu’il « est un ami des présidents africains et un vieil habitué des ministères parisiens ». Il ajoute que « pour être élu en Afrique, [il n’est] pas besoin de mouiller la chemise. Avec un peu de chance et quelques copains bien placés à l’ONU, à la Maison Blanche, à l’Elysée ou au Quai d’Orsay, vous êtes sûr de passer même à 18 % » (le score de Condé au premier tour de la présidentielle). Cerise sur le gâteau : il évoque même à la clé de cette victoire « un véritable nettoyage ethnique ».

Jusque là, tout va bien. Sur la présidentielle guinéenne et la « victoire » de Condé, je n’ai pas écrit autre chose. En un temps où l’indignation est devenue tendance, on se dit que Monénembo va s’insurger, compte tenu de sa longue expérience « guinéenne », du comportement de Gbagbo en Côte d’Ivoire et « s’indigner » tout autant de ce qui se passe à Abidjan. Hélas, non. Le « pauvre » Gbagbo, « modeste professeur d’histoire » dont la « diabolisation […] a fini par le rendre sympathique aux yeux de ses pires détracteurs » serait victime de la « fameuse communauté internationale qui n’est jamais mieux dans son rôle que quand elle rallume les incendies qu’elle est censée éteindre ».

Voilà donc l’ONU qui, « derrière le langage feutré de ses diplomates », fait entendre « des bruits de bottes coloniales ». Et d’opposer la présidentielle ivoirienne à celles qui se sont déroulées ou vont se dérouler au Burkina Faso, en Tunisie, en Egypte, d’opposer un Gbagbo qui « n’est jamais sorti de chez lui » à un Alassane Ouattara, qui « se trouve au cœur du complexe réseau qui gouverne ce monde ».

Monénembo nous joue « l’impérialiste » (Ouattara) contre le « socialiste » (Gbagbo) de la même façon qu’à Conakry, Condé (le « socialiste ») avait dénoncé le « capitaliste » (en l’occurrence Cellou Dalein Diallo) dans son concurrent à la présidentielle 2010 : « des mafieux qui pillent le pays », « des voleurs qui crient au voleur », « des commerçants qui n’ont aucune expérience du pouvoir d’Etat et ont acheté un parti à Diallo ». Etonnant, non ? D’autant plus étonnant que Monénembo nous dit que « psychologiquement et techniquement, [Ouattara] est mieux outillé que n’importe lequel de ses concurrents pour gouverner ».

Condé joue l’exclusion à Conakry de la même manière que Gbagbo la pratique à Abidjan. Mais ce ne serait ni la faute de Condé, ni celle de Gbagbo ; mais celle de la « communauté internationale » qui veut « recoloniser l’Afrique ». Je ne comprends pas d’ailleurs pourquoi cette même communauté soutiendrait Condé à Conakry et s’opposerait à Gbagbo à Abidjan. Mais je ne comprends pas plus pourquoi il faudrait « accepter l’inacceptable, supporter l’insupportable » - Monénembo évoque quand même un « véritable nettoyage ethnique » en Guinée entre les deux tours de la présidentielle - et, finalement, se soumettre, non pas à la loi du plus fort mais à celle de celui qui menace d’utiliser la « terreur ».

Car du côté de Condé comme de Gbagbo, c’est bien de cela qu’il s’agit : la menace de s’en prendre aux « autres », qu’ils soient « peuls » ou « porteurs de boubous » ! La réponse de Monénembo me fait froid dans le dos : « Mieux vaut encore Bokassa et Mobutu que les drames du Liberia ou de la Sierra Leone ! La bête humaine s’habitue à l’enfer du despotisme, certainement pas aux massacres à la rwandaise ! ». Il ajoute : « Là-bas, on préfère d’expérience les mauvaises élections aux guerres civiles bien réussies ». On notera ce « là-bas » quelque peu méprisant qui caractérise « les faubourgs de Conakry et d’Abidjan ». C’est faire injure aux Guinéens et aux Ivoiriens qui, eux, sont « là-bas » quand Monénembo est ailleurs. Là où, semble-t-il, il ne risque rien.

Je regrette cette prise de position de Monénembo. Je respecte la crainte qu’il peut avoir d’une confrontation. Je respecte la perception qu’il a que cette confrontation serait, aussi, l’expression d’un rapport de forces internationale et africaine : le « capitalisme mondial », « l’impérialisme », - ou comme on dit aujourd’hui : la mondialisation - allié à « l’Afrique des présidents » pour imposer une « démocratie » qui ne serait que celle des « comptoirs » (ou plus exactement des multinationales). Je ne suis dupe ni des uns ni des autres ; ni du « socialisme » de Gbagbo et de Condé ni du « libéralisme » de Ouattara. Je ne suis pas dupe, non plus, d’une « communauté internationale » dont les interventions visent à renforcer ses positions. Mais j’appartiens à un peuple et à une histoire qui, de mon grand-père paternel jusqu’à moi, a connu la Commune de Paris, la guerre de 1914-1918, les révolutions politiques et sociales en Russie et en Europe, la lutte des classes, le Front populaire, la Deuxième guerre mondiale, les fascismes italien, espagnol, portugais, le nazisme et l’extermination des juifs, les guerres coloniales et la lutte pour la décolonisation de l’Asie et de l’Afrique, la conquête des droits des femmes (droit de vote, avortement, etc.), le combat pour la démocratisation de l’accès aux études supérieures, la libéralisation de l’information, etc. Je suis de ceux qui pensent que la « violence joue dans l’histoire un rôle révolutionnaire » (Friedrich Engels) et qu’elle peut être « l’accoucheuse de toute vieille société qui en porte une nouvelle dans ses flancs » (Karl Marx).

Hélas, les élites africaines sont devenues des élites franco-africaines loin de « là-bas ». Alors l’Afrique, démunie, fait avec les moyens du bord. Et s’il lui faut s’allier avec le diable (en l’occurrence la « communauté internationale ») parce qu’elle sait, aussi, y trouver des points d’appui (des institutions structurées, des organisations humanitaires, une presse libre…, enfin, des contre-pouvoirs), elle préfère cela à l’indignité. L’Anglais Edmund Burke, qui n’avait pas aimé la « révolution française » (dont il a été un contemporain) et s’est illustré comme le père du « conservatisme européen moderne », disait que « pour triompher, le mal n’a besoin que de l’inaction des gens de bien ». Aujourd’hui, en Guinée comme en Côte d’Ivoire, le mal triomphe !

 

Jean-Pierre BEJOT

 

 

Tag(s) : #Politique
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