‘‘La compréhension et l’application de la démocratie par la classe politique africaine resteront une utopie…’’
Spécialiste des questions de sécurité, M. Coffi Michel Djidji est un jeune ivoirien de la diaspora. Il nous livre ici dans cet entretien réalisé par téléphone, son point de vue sur la situation sécuritaire dans le monde, ses critiques sur le gouvernement Soro et bien d’autres sujets brûlants d’actualité.
Bonjour Monsieur. Voudriez-vous vous présenter aux lecteurs ?
Merci. Je suis Docteur Coffi Michel Djidji, Economiste Consultant et Expert en peacekeeping & Securities studies. Je vis à Rome (Italie)
Que recouvrent ces termes ?
Le peacekeeping and security studies est un instrument cré2 par les Nations Unies pour soutenir les pays ou zones de conflits du monde à travers des actions concrètes, la promotion de la paix, la solidarité, la justice, la sécurité, la reconstruction des institutions et du tissu social.
Le monde actuel vit sous la menace perpétuelle d’une insécurité que même les grandes puissances ne peuvent maîtriser voire éradiquer. Votre sentiment ?
Après la dislocation de l’Union soviétique, l’on a assisté à un déséquilibre des rapports de forces (les USA devenus seuls maitres au monde) et l’émergence de nouveaux acteurs sur la scène internationale. Ces acteurs pour des intérêts personnels tendent à piétiner, écraser voire ‘‘à manger’’ les plus faibles dans leurs manifestations de tous ordres. Pour lutter contre cet état de fait, les plus faibles devraient s’organiser en groupe, parler d’une seule voix pour espérer résister au cannibalisme des plus forts. Malheureusement, les pays africains n’ont pas encore compris qu’ils feront un fiasco chaque qu’ils voyageront en rang disperser dans ce monde global.
Dr Michel Coffi Djidji, Economiste-Consultant & Expert en sécurité
L’alternative démocratique au pouvoir dans les pays du Tiers Monde se caractérise par des coups d’Etat. Bien que l’on assiste de moins en moins à ces coups de force, peut-on cependant affirmer que la démocratie est enfin comprise et appliquée par la classe politique africaine?
La démocratie, entendue dans son sens étymologique, veut que le peuple décide sur la place publique. Cette démocratie existe encore dans les villages Adioukrou, a existé à Athènes et à Rome. Puis, avec l’élargissement de la cité, l’on a inventé l’idée de représentants. De ce point de vue, la démocratie existe dans les pays du tiers monde. Le problème auquel les pays du tiers monde sont confrontés, c’est que l’Occident veut une démocratie comme il l’entend sans tenir compte du contexte environnemental de ces pays-là. Lorsque vous prenez par exemple les pays d’Afrique, ce sont des pays créés ex novo par le colonisateur, des pays où la notion de nation ne coïncide pas avec celle de l’Etat, où l’on n’arrive même pas à satisfaire les besoins primaire (ndlr manger, dormir). Et puis de quoi peut parler celui qui a faim ? Ce n’est d’ailleurs pas un hasard quand feu le président Houphouèt disait ‘‘celui qui a faim n’est pas un homme libre’’. Il est facilement corruptible, prêt à faire la politique du ventre. De ce point de vue, on peut affirmer que la compréhension et l’application de la démocratie par la classe politique africaine restera une utopie tant que la population n’aura pas droit à l’instruction, à la satisfaction du besoin primaire et à un système de redistribution de la richesse nationale
En tant que spécialiste des questions de sécurité, quelle pourrait être, à votre avis, la bonne stratégie pour la garantir en Afrique et singulièrement en Côte d’Ivoire ?
La question sécuritaire est une condition sine qua non au développement de toute organisation. L’Afrique et singulièrementla Côted’Ivoire doivent changer leur politique en matière de sécurité. Il faut qu’elles investissent dans les ressources humaines et dans la technologie. Aujourd’hui, la sécurité d’un Etat c’est d’abord son système de renseignements généraux.
Quel regard portez-vous sur les FRCI (Forces Républicaines de Côte d’Ivoire) ?
Franchement, les FRCI, au vu de nombreuses imperfections et les supplétifs qui semblent faire la loi dans les rues, quartiers, villages et régions du pays, on peut conclure que ce n’est pas une armée républicaine. L’armée, c’est la discipline, c’est le respect des institutions, la protection des biens et des personnes. Or, il ya un code d’honneur militaire que les militaires de carrière doivent faire respecter. Sinon, aujourd’hui en Côte d’Ivoire, nous sommes loin de ces valeurs qui caractérisent l’Armée. Il suffit de lire les journaux.
La Côte d’Ivoire a un nouveau Chef d’Etat en la personne d’Alassane Ouattara, Président de la République de Côte d’Ivoire. En tant qu’ivoirien de la Diaspora, le reconnaissez-vous comme tel ou pour vous, Laurent Gbagbo demeure toujours le Président de la République de Côte d’Ivoire ?
‘‘La politique, c’est savoir apprécier les réalités du moment’’ dixit Laurent D Fologo. Cependant les règles élémentaires de la démocratie auraient voulu qu’on accorde à l’opposition, la place qui lui est due.
Alors, que répondez-vous aux ivoiriens qui continuent de donner de la voix depuis leur exil en posant des conditions de leur retour au pays en posant des préalables tel la libération sans condition de Laurent Gbagbo ?
C’est une question de méthode et de bon sens. Les nouvelles autorités doivent comprendre que le bipolarisme en Côte d’Ivoire est une réalité et que la crise ivoirienne est d’abord politique. Partant de cela, il apparait opportun que les acteurs se rencontrent en primis pour discuter, sinon la réconciliation tant proclamée restera un vain mot. Pour qu’il y ait réconciliation il faut être au moins en présence de deux parties. D’ailleurs, depuis la chute du Président Gbagbo Laurent, on ne cesse d’assister à des éclatements de fête de réconciliation, cependant j’observe que les gens restent toujours terrorisés et méfiants. Cela veut dire qu’il ya quelque chose qui ne va pas.
Pourtant Alassane Ouattara a tendu la main au FPI en lui demandant d’entrer au gouvernement. Il a essuyé un refus que vous pourriez peut-être tenter d’expliquer pour que les lecteurs comprennent mieux ce refus.
La démocratie suppose une majorité qui gouverne et une minorité qui fait l’opposition c’est-à-dire qui joue le rôle de contrôleur. Lorsque les rôles de contrôleur et de contrôlé coïncident, on se trouve en présence de conflits d’intérêt qui est l’opposé de la bonne gouvernance. C’est donc à bon droit que le FPI a refusé d’entrer au gouvernement.
Aujourd’hui, Koulibaly Mamadou est parti du FPI pour créer Lider au moment où le couple présidentiel est en prison. Etes-vous de ceux qui pensent qu’il aurait pu en différer la création ou pensez-vous autrement ?
Voyez-vous, toute décision que nous prenons produit des effets. Cependant j’observe qu’une décision prise au moment inopportun ne produit pas les mêmes effets qu’elle aurait produits si elle avait été prise au moment opportun. De ce point de vue, je pense que le professeur Koulibaly Mamadou aurait du différer la création de son parti. Pour le reste seul le temps nous dira s’il a bien fait ou non.
Quel regard jetez-vous sur les relations Nord-Sud 51 ans après ?
Après 51 ans de relations, le Sud n’a pas du tout évolué. Or comme on le dit en Côte d’Ivoire, ‘‘qui n’avance pas recule’’. Le sud est devenu le lieu d’expérimentation des super puissances. Il suffit de voir ce qui se passe en Afrique.
100 jours après sa prise de fonction officielle et au regard des informations qui vous parviennent, pourriez-vous faire un bilan partiel de la gestion du pouvoir par le Président Alassane Ouattara ?
Je préfère laisser l’appréciation à qui de droit, c’est-à-dire à l’opposition comme cela advient dans les Etats démocratiques. Donc je demanderais au chef de l’Etat Alassane Dramane Ouattara de permettre à l’opposition de faire son travail car la construction dela Côted’Ivoire est l’affaire de tous les Ivoiriens
Quelles sont les critiques que vous pouvez formuler en toute indépendance à l’endroit du gouvernement ivoirien ?
Le gouvernement ivoirien devrait s’attaquer aux problèmes réels des Ivoiriens qui sont la sécurité, le travail, l’inflation, l’instruction, la justice, la santé et laisser de côté la justice des vainqueurs. Par exemple à la place de la charte signée à Bassam, il aurait fallu demander à tous ceux qui ont la responsabilité de la gestion des affaires publiques de déclarer leurs patrimoines.
Avez-vous des propositions concrètes à faire au gouvernement ivoirien sur le triple plan de la sécurité intérieure ou la sécurité tout court, l’agriculture, l’économie étant vous-même un spécialiste dans ces divers domaines. Ou alors des suggestions ?
Le gouvernement doit impérativement créer les conditions pour le retour d’un climat de confiance au sein des enfants dela Côted’Ivoire. Cela suppose qu’il prenne des décisions courageuses. Au plan de la sécurité, il faudrait pouvoir assigner aux différents responsables (commandants d’unité) des ressources, des objectifs et un temps. Remplacer celui qui n’atteint pas son objectif. Par exemple, s’il s’avère que des éléments d’une unité ont commis des exactions, que le commandant et les exécutants de l’acte délictueux en répondent. Pour l’agriculture : ramener les groupements à vocation coopérative (GVC), les organiser, (par exemple créer une cellule d’évaluation et des contrôles). Concernant le volet économie, créer un système qui garantit la redistribution de la richesse nationale ; encourager l’initiative privée, la formation théorique et appliquée, instaurer le contrôle dans tous les secteurs d’activités publiques et parapubliques, signe de bonne gouvernance, intervenir de manière drastique pour réduire les coûts des premières nécessité et revoir le SMIG. Il faut cependant rappeler que l’économie pour mieux fonctionner a besoin de la prise en compte d’autres variables comme par exemple la santé, la justice, l’instruction, la stabilité etc….
En tant qu’Ivoirien, seriez-vous prêt à mettre vos connaissances et votre expertise au service de votre pays ?
Bien sûr. Je l’ai dit,la Côted’Ivoire a en ce moment besoin du concours de tous ses fils et de toutes ses filles où qu’ils se trouvent.
Quels sont vos souhaits pour la Côte d’Ivoire, votre pays d’origine ?
Les crises sont une opportunité pour améliorer ce qui n’a pas marché. Que les ivoiriens en général et ceux qui ont la gestion du pays en particulier fassent un dépassement de leurs passions, des leurs idéologies pour que chacun puisse travailler dans son domaine sans s’immiscer dans le domaine de l’autre.
Votre mot de fin ?
Que les nouvelles autorités arrêtent la justice des vainqueurs carla Côted’Ivoire n’a pas besoin de prisonnier politique. Elle a plutôt besoin du concours de tous ses fils pour son développement.
Réalisée au téléphone par Urbain Kadjo