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III- ITINERAIRE  DU CLUB AFRICAIN

En résumé, et sans trop schématiser, on pourrait identifier trois principales phases dans l’itinéraire du CA, chacune étant régie par une logique propre, animée par des motivations contextuelles et confrontée à des contraintes spécifiques. Ce triptyque est forcément arbitraire, d’autres pourraient être envisagés :

A- Période 1920-1960 :

En dépit d’une genèse difficile et d’une évolution heurtée, Le CA a pu maintenir le cap sans déroger aux principes de départ ni se dérober à son rôle national. L’aspect sportif fût le levier pour mobiliser et encadrer la jeunesse tunisienne dans une perspective anti-colonialiste, certes non frontale mais néanmoins militante. Donc, ni la démarche ni l’objectif n’obéissaient à des mobiles exclusivement sportifs. Le profil des fondateurs du CA, la dimension politique et identitaire de leur projet en témoignent.

Il est à signaler que le football était durant cette période la principale activité sportive du CA, il y avait certes le base-ball, mais cette section n’avait pas fait long feu. Les autres disciplines, comme le handball, volley-ball, basket-ball, ont été instaurées après l’indépendance.

Le CA en 1934-35

Au cours de cette période, et malgré la modestie des moyens et les contraintes de l’environnement ambiant, le club a poursuit son développement et a enregistré nombre d’acquis :

- Accession à la première division en 1937. Depuis, le Club Africain n’a jamais connu les étages inférieurs. 

- Premier titre de champion à la saison 1947-1948. Le fait que le club ait trusté le titre de championnat des saisons 1947-1948 et 1948-1949 montre bien que le club avait bien géré l’après–guerre ( deuxième guerre mondiale) et était suffisamment fort et compact pour avancer sur des bases solides. 

- Contribution du club à l’enracinement de la culture tunisienne, la création de la Rachidia et la contribution à la formation d’un théâtre tunisien, en sont les témoignages les plus incontestables. Il n’est pas inopportun de rappeler que le club disposait de sa propre troupe théâtrale depuis les années trente.

- Le CA est le premier club tunisien à organiser des manifestations culturelles et artistiques (concert musical, présentation de pièces de théâtre,…) et à accorder la gratuité d’entrée au stade à la gente féminine, et ce depuis les années trente.

- Le CA est le premier club tunisien à donner une identité à un quartier, à savoir Bab-Djedid, lieu de mémoire et d’appartenance. Cette alliance club/quartier a été dès le départ un vecteur d’identification, le premier levier, dans l’histoire moderne de la Tunisie, liant viscéralement un club à un faubourg. Le quartier de Bab-Djedid a constitué un espace de sociabilité et de mouvement des clubistes, notamment les pères fondateurs dont une bonne partie en était issue.   

Sur un autre plan, et durant la dite période, le club a résisté à certaines velléités de défiguration sinon d’enclavement pour se positionner comme club ayant sa propre identité. Citons particulièrement la tentative, vite avortée, de Habib Bourguiba de fusionner le Club Africain avec l’Espérance de Tunis en 1934, année où Bourguiba s’était démarqué du parti libéral constitutionnel ( Hezb  horr  destouri) et, en dissidence, avait crée le parti du néo-destour , le 2 Mars 1934 à Ksar Helal.

Cet épisode démontre que 14 années après sa création le club disposait déjà de sa propre identité et avait suffisamment de force pour refuser l’injonction de Bourguiba, le nouvel homme fort de la Tunisie de l’époque.


B- Période 1960-1990 :

Il s’agit de la période- épopée durant laquelle le CA, le vent en poupe, a récolté la majorité de ses trophées sur le plan aussi bien national que régional. Omnisports et omniprésent, le CA a marqué cette période de son empreinte et a redoré à maintes reprises le blason national. Le CA était un des meilleurs porte-drapeaux de la Tunisie, et la section féminine n’en était pas la moindre !

Durant cette période, deux présidents, entres autres,  ont marqué de leur empreinte l’évolution du club et ont stabilisé sur structures et ses fondements, à savoir, Azzouz Lasram et Ferid Mokhtar. Dans le domaine sportive, deux hommes ont également façonné une certaine culture de jeu bien clubiste. Des générations de joueurs sont restés jusqu’à aujourd’hui viscéralement imprégnés de "la philosophie de jeu" de Fabio Marchegianni et André Nagy.

Il est clair que le club s’appuyait, lors de cette période, sur le double plan administratif et sportif, sur un environnement de stabilité et sur des hommes de projet, lesquels inscrivaient leurs actions dans une vision stratégique.

Sur un autre plan, le club a mis en place une structure avant-gardiste, en l’occurrence "le comité des sages" que les autres associations n’ont pas manqué d’imiter. Ce comité agissait comme gardien du temple clubiste et apportait un concours financier régulier et prévisible.

Le CA puisait sa force et son identité de quatre sources, en pleine corrélation, dont voici les plus importantes :

- La formation a toujours été un des principaux piliers du temple clubiste et un des plus importants ciments de son identité, et il ne s’agit pas de la formation dans son acceptation sportive uniquement. De tout temps, le CA s’appuyait sur ses enfants, sur le terrain et en dehors du rectangle vert. Une grande école de formation de dirigeants, voilà le principal capital le pilier stratégique du club. Pratiquement, toutes les grandes figures clubistes ont porté le maillot rouge et blanc et ont transmis cette culture d’appartenance entre les générations et les époques. Est-ce par hasard que le CA n’a jamais été performant qu’avec ses propres enfants.

- Depuis sa création, le CA a toujours cultivé la notion de grande famille. Géré d’une manière pratiquement collégiale où le consensus était la règle et à laquelle le peuple clubiste adhérait bien et vite, le CA  formait des générations de dirigeants, dont l’investissement personnel s’inscrivait dans cet esprit et valorisait cette "marque déposée" typiquement clubiste.

- Depuis toujours, le peuple clubiste s’est identifié au club et l’a tellement porté au bout des bras qu’il marque bien sa présence dans les stades et en dehors. La grande identification des supporters au club traduit, du moins en partie, la vitalité de l’identité du club. A titre illustratif, durant toutes les années 80, le club n’a pas gagné de titre sans que cette "traversée du désert" n’ait donné lieu à de grandes crises car le ciment identitaire et liens de confiance et de loyauté entre la base et le sommet agissaient comme un puissant écran protecteur. Jamais "la rue" n’a fait acte de désolidarisation ni tenté d’imposer des décisions.  
  
- Bab-Djedid, lieu de naissance, creuset de la mémoire et fief attitré, était le centre de gravité de la mouvance clubiste. Jamais le quartier n’a autant festoyé que durant cette période.

Nul doute qu’aussi bien le discours officiel de l’époque, prônant   le volontariat et l’esprit olympique, que le contexte sportif tunisien, caractérisé par l’amateurisme et la notion d’appartenance à une couleur, ne sont certes pas étrangers à la réussite du CA, car ces facteurs entretenaient, dans une large mesure, la strate identitaire.


C- Période  1990- Nos jours :

Cette période a débuté avec la conquête historique du quadruplé, performance unique dans les annales du football tunisien, réalisée avec les enfants de cru, tous formés dans la moule clubiste. Cette prouesse sportive sans précédent a été, semble-t-il, mal digérée et notamment mal rentabilisée. L’euphorie ambiante, conjuguée à la mutation de l’environnement sportif tunisien, a fait glisser lentement le club en dehors de son champ de performance et de son terreau naturel vers des sentiers plus ou moins incompatibles avec ses forces motrices.

De par son histoire et son propre itinéraire, le CA est resté un club assez introverti, et de ce fait, pratiquement incapable d’amortir des mutations brusques. Les crises qu’il a connues sont essentiellement des crises d’identité, les échecs sportifs n’en sont que les manifestations. En effet, le CA ne pouvait et ne peut évoluer qu’en étant réconcilié avec soi-même et avec son environnement. Est-ce par hasard que les crises du CA ont coïncidé avec la transformation du paysage sportif tunisien et l’introduction forcée de ce professionnalisme à la tunisienne ! Compte tenu de sa rigidité et de son introversion, le CA est pratiquement le club qui a le plus souffert du bouleversement du contexte sportif et réglementaire tunisien ! 
 
Au cours de cette période, le CA a connu, séparément ou simultanément, nombre de crises dont l’acuité et l’incidence varient selon le contexte et le bilan. De nouvelles approches ont été développées et stigmatisées, de nouvelles contraintes et de nouvelles habitudes ont pris le pas. A un certain niveau d’abstraction et avec un certain recul, quatre types de crise, indissociables dans les causes mais distincts dans les effets, ont altéré l’évolution du CA :

Crise d’identité :

Il est à constater que, durant cette période, le club a évolué plus en moins en dehors des quatre vecteurs d’identités ci-dessus mentionnés :

- La dimension formation, l’épine dorsale et l’artère nourricière du club, a progressivement perdu son rang et sa culture, notamment lors des dix dernières années. Le recours de plus en plus systématique aux recrutements, souvent à fonds perdus, au mépris du bon sens sportif et au détriment des enfants de cru, le CA a récolté peu de titres par rapport à la période précédente ! C’est le paradoxe clubiste dans toutes ses expressions, symptomatique d’un tournant mal négocié dans la vie du club.

- La notion de grande famille a cédé le pas au sectarisme et à l’exclusion. Le conflit d’intérêts a succédé à la communauté de vues. Ces dissonances ont même atteint l’imposant "comité des sages", qui, de moins en moins capable d’agir comme une force de mobilisation et de stabilisation, a complètement implosé ces dernières années. 

- Entre le public et l’équipe dirigeante, un certain déphasage bruissait avant de se transformer en craquement puis en cassure. Le seuil de rupture a été pratiquement consommé ces dernières années. Les dernières années, certaines grandes décisions ont été prises pour "la rue" non réellement pour le club.

- En transférant, de facto, le siège social du club au Parc A, tout le quartier de Bab-Djedid a été relégué. Certes, l’association Club Africain-Bab-Djedid reste très présente et fortement enracinée dans la mémoire individuelle et collective, mais le transfert d’une partie de « l’âme du club » a traumatisé les puristes clubistes, percevant ceci comme une mutilation de l’identité et un outrage à la mémoire du club.

Crise de croissance :

Il est pratiquement admis que le CA a mal géré son évolution. Là aussi, on pourrait invoquer le paradoxe clubiste : Contrairement aux autres clubs, le CA serait peut-être le seul club qui a enregistré une diminution chronique de son budget, et ce malgré un volume d’activités sportives en nette décroissance !

En effet, durant cette période, le CA a dissout nombre de disciplines dont la plupart ont été des fleurons et ont gratifié le palmarès clubiste d’innombrables couronnes. Ainsi, le budget du club a régressé de volume et de rang.

Le club a cessé de s’appuyer sur des hommes de projet.


Crise sportive :

Ce n’est pas seulement une crise de résultats, mais également un déficit de stratégie. La formation n’est plus totalement le creuset, du moins cette dimension n’est plus érigée comme un axe stratégique. Encore un paradoxe : En délaissant la formation, le CA a gagné peu de titres et a dilapidé ses principaux repères.

En privilégiant le tactique au stratégique, le CA s’est trompé de combat et de cible. L’argumentaire développé sur la nécessité de spécialisation et les contraintes matérielles trahit un discours de justification non de conviction.

Crise de communication :

 Ces dernières années, l’image du CA est de plus en plus écornée, le message est mal prononcé et mal perçu. La passerelle entre le sommet et la base a progressivement cédé. L’incrimination et l’esprit de clan ont traversé le contexte du club, horizontalement et verticalement, et l’ont livré aux couperets médiatiques. 

Aux défaillances de communication se sont ajoutées des insuffisances de crédibilité, le discours étant paradoxal et le message largement brouillé. Ceci a peu à peu contribué à la défiguration de ce grand bastion du sport tunisien, club qui s’est enrichi longtemps de la différence, qui a longtemps vécu uni dans la diversité et dans l’adversité.

Il est certain que, comparativement aux autres grands clubs, le CA a le plus souffert de la mutation et de la transformation du paysage sportif tunisien, désormais soumis à l’obligation de résultat et à la logique de marché. L’introduction intempestive du professionnalisme dans un contexte sportif tunisien mal préparé matériellement et peu outillé juridiquement, a généré une fracture dans les rapports, car elle n’a pas fait suite ni à l’aboutissement d’une évolution naturelle ni le résultat d’une revendication largement partagée.
 
Ceci dit, pour le CA, ce n’est pas le professionnalisme à la tunisienne qui est en cause, puisque tous les clubs sont lotis à la même enseigne, mais ce manque de réaction  pour prévoir et anticiper et cette  attitude de s’attaquer aux effets non aux causes. A titre illustratif : en réduisant le budget et en larguant nombre de discipline, le CA n’a pas résolu le problème, il en a crée d’autres. Au lieu de recourir à ce choix drastique, il aurait été plus judicieux de revoir la stratégie, notamment au niveau des sources de financement et des choix sportifs.

I- CONCLUSION

Pour retrouver ses marques, le CA n’a besoin ni d’un mécènes ni d’un parrain, le peuple clubiste a toujours résisté à ce type de glissement et refusé d’offrir le club à un chef de tribu. Et ceci constitue déjà une grande victoire. Parallèlement à la priorité de mettre en place une véritable stratégie inscrite dans une perspective d’avenir, le retour aux sources reste le seul mot d’ordre !

Et les sources du club sont intarissables !  Le renouveau est en lui !

 

Jalel Snoussi
Novembre 2005

Tag(s) : #Sports
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