Sitôt libérés de la tutelle néerlandaise, les Belges se mettent en quête d'un roi.
Après avoir renoncé au jeune duc de Nemours, fils de Louis-Philippe 1er, pour ne pas irriter les Anglais, ils se rabattent sur Léopold de Saxe-Cobourg-Saafeld, un prince allemand et luthérien de 41 ans, fringant et portant beau en dépit d'une calvitie qu'il cache maladroitement avec une perruque brune.
Le prince a refusé l'année précédente une autre proposition, venue de la Grèce, qui s'est, elle, émancipée de l'empire ottoman. À sa famille se rattachent tous les souverains actuels de l'Europe, par Léopold lui-même mais aussi par sa soeur aînée Victoria de Saxe-Cobourg-Saafeld, qui donnera le jour à la reine Victoria.
Lui-même a été profondément meurtri par un veuvage précoce, suite à la mort en couches de sa première épouse, Charlotte, fille unique et héritière du prince de Galles, plus tard roi d'Angleterre sous le nom de Georges IV.
Le 21 juillet 1831, le futur roi fait son entrée à Bruxelles, au milieu des acclamations populaires. Il conclut sa prestation de serment par un voeu vibrant, encore d'actualité : «Qu'une seule pensée anime tous les Belges, celle d'une franche et sincère union».
Mais les réjouissances ne durent pas. Le 2 août suivant, alors que Léopold 1er fait sa Joyeuse Entrée à Liège, il apprend que l'armée hollandaise a envahi le royaume ! Sans hésiter, il mobilise les bonnes volontés contre le roi des Pays-Bas.
Lui-même se dévoue en bloquant le pont de Malînes, sur la route de Bruxelles. Malgré cela, la «Guerre de Dix jours» se termine par une mémorable raclée et les Belges ne sont sauvés que par l'intervention des troupes françaises.
Le roi connaît pour la première fois la tentation d'abdiquer. Il se ressaisit et décide d'enraciner au plus vite le royaume et le trône dans le paysage européen.
Par une lumineuse inspiration, il demande au roi Louis-Philippe 1er la main de sa fille aînée Louise. Ainsi ce prince allemand et anglophile sera-t-il assuré de la bienveillance de tous ses voisins (à l'exception des Pays-Bas).
Le mariage est célébré le 9 août 1832 dans la chapelle du château de Compiègne. Mariage de raison d'État. La mariée de 19 ans défaille au bras de son époux, pour lequel elle n'éprouve aucune attirance. Mais elle assume ses devoirs avec résignation et, peu à peu, se découvre une tendre amitié pour Léopold.
Le ménage mène une vie bourgeoise dans le château de Laeken, au nord de Bruxelles, le palais royal servant quant à lui aux cérémonies officielles.
Quatre enfants naissent dans les années qui suivent. Le premier, Louis-Philippe-Léopold, ne vit que neuf mois. La reine, à nouveau enceinte, donne le jour à un deuxième garçon, Léopold, le 9 avril 1835. Il reçoit le titre de duc de Brabant et régnera plus tard sous le nom de Léopold II.
Un troisième garçon, Philippe, duc de Flandre, donnera bien plus tard naissance au troisième roi des Belges, Albert 1er.
Enfin, la reine Louise donne le jour à une fille, Charlotte. D'un caractère fantasque, elle sera mariée à l'archiduc d'Autriche Ferdinand-Maximilien, lequel deviendra empereur du Mexique et sera tristement fusillé à Queretaro en 1867. Charlotte achèvera alors de sombrer dans la folie.
Le roi Léopold 1er de Belgique met ses relations familiales au service du royaume et de la paix. Il guide les premiers pas de sa nièce Victoria, quand elle monte sur le trône d'Angleterre en 1837, et se félicite de ce qu'elle épouse Albert de Saxe-Cobourg-Gotha, le fils de son frère aîné.
Il calme le jeu lorsque l'agité Adolphe Thiers, ministre de Louis-Philippe, menace d'en découdre avec l'Angleterre à propos d'une querelle autour de l'Égypte en 1840. Il dissuade enfin l'empereur Napoléon III, avide de conquêtes, de s'en prendre à la Belgique.
Il peut également savourer les succès de la Belgique, pionnière en matière de révolution industrielle. Ainsi le pays inaugure-t-il le 5 mai 1835 le premier chemin de fer du continent (après les Anglais). Soucieux de concorde nationale, il encourage le développement d'une littérature et d'une culture flamandes.
Avide de grands horizons, il n'en est pas moins tenté à plusieurs reprises de jeter l'éponge et il lui arrive même une fois de remettre sa couronne à la disposition du Parlement.
Charitable et douce, la reine est appréciée par ses compatriotes. Mais la mort de son fils aîné alourdit l'atmosphère familiale.
Sa santé se dégrade et ses liens avec le roi se distendent, d'autant que ce dernier nourrit dès 1844, au vu et au su de tous, une liaison avec une certaine Arcadie Claret, de trente-six ans plus jeune que lui. Il la marie à un homme de paille, l'anoblit... et lui donne deux garçons.
En février 1848, voilà qu'éclate un coup de tonnerre avec l'annonce de l'abdication de son père Louis-Philippe 1er. Le vieux roi déchu est recueilli par Léopold et Louise dans leur résidence anglaise de Claremont où il s'éteint le 26 août 1850.
C'est plus que n'en peut supporter sa fille, déjà très affaiblie. Elle s'éteint à son tour à Ostende, le 11 octobre 1850, à 38 ans, au grand désespoir de ses compatriotes, de ses enfants... et de Léopold.
Le roi sexagénaire, plus amer que jamais, se replie à Laeken. Il connaît une fin de vie douloureuse et meurt le 10 décembre 1865 et ses funérailles se tiennent le 16 décembre suivant, soixante-quinzième anniversaire de sa naissance.
En dépit des difficultés extérieures et des drames personnels, il laisse un royaume prospère dont personne ou presque ne conteste la légitimité.