Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Onésime Reclus
L'inventeur du mot "francophonie"

Onésime Reclus (1837-1916)
Frère d'Elisée Reclus, lui aussi géographe, Onésime Reclus est né à Orthez, dans une famille protestante du Béarn, d'un père pasteur.
C'est sous sa plume qu'apparaît le mot "francophonie" vers 1880, dans le cadre de sa réflexion sur le destin colonial français. Ce dernier lui paraît être la meilleure réponse de la France au jeu des forces à l'œuvre dans le monde en cette fin du XIXe siècle et dans lequel le facteur linguistique est pour lui essentiel.

Décrivant admirativement les caractéristiques géographiques de son pays, "le plus beau royaume sous le ciel", l'œuvre d'Onésime Reclus est également politique. En effet, s'il analyse la géographie de la France, il se fait aussi l'ardent promoteur de l'aventure coloniale française, notamment en Afrique.

 

Le géographe descriptif

Dans "Le plus beau royaume sous le ciel" ou "La France à vol d'oiseau", Onésime Reclus décrit avec un lyrisme patriotique les paysages et les populations de France, un peu à la manière dont Jules Michelet en fait connaître l'histoire. Il manie avec amour le français, dans un style précis, énergique et poétique, qui rend communicative l'émotion de ses descriptions.

 

Le militant de l'expansion coloniale française

Mais Onésime Reclus s'intéresse également à la France tournée vers l'extérieur. Il développe sa pensée en matière coloniale dans des ouvrages aux titres évocateurs : "Le partage du monde", "Un grand destin commence", "France, Algérie et colonies" ou encore "Lâchons l'Asie, prenons l'Afrique : où renaître ? et comment durer ?"

C'est un hymne à la conquête coloniale que compose le géographe, concevant une véritable doctrine de l'impérialisme français. Mais sa conception du colonialisme ne s'appuie pas sur des considérations mercantilistes ou raciales ; son argumentation est géographique, linguistique, démographique. La théorie qu'échafaude Onésime Reclus repose sur l'idée d'influence du milieu ; la langue apparaît comme le socle des empires, le lien solidaire des civilisations.

Il y a des langues
"Il n'y a plus de races, toutes les familles humaines s'étant entremêlées à l'infini depuis la fondation du monde.
Mais il y a des milieux et il y a des langues.
Un ensemble de conditions physiques, sols, climats, vents, pluies, soleil, mariage de la terre et de la mer ou divorce entre l'une et l'autre, a fait d'un confus brassement de "races" des peuples parfaitement distincts".
La langue fait le peuple
"Dès qu'une langue a "coagulé" un peuple, tous les éléments "raciaux" de ce peuple se subordonnent à cette langue. C'est dans ce sens qu'on a dit : la langue fait le peuple (lingua gentem facit)".
Onésime Reclus, "Un grand destin commence", La Renaissance du Livre, 1917, pp. 114-116 (extrait).

Les "empires" en cours de constitution à la fin du XIXe siècle sont pour lui l'avenir : la France doit prendre sa place dans ce "partage du monde". Il prône l'expansion coloniale, essentiellement tournée vers l'Afrique par réalisme stratégique : "incapables d'une politique mondiale comme d'une politique étroitement européenne, proportionnons l'œuvre à l'ouvrier, par la pratique assidue de la politique africaine, aussi exclusive qu'il se pourra". Et Onésime Reclus d'appeler à ériger une "Afrique française", unifiée par "la diffusion de la langue nationale".
Le géographe examine la situation du français dans le monde à la fin du XIXe siècle et lui promet un avenir "mondial", à la faveur de l'expansion de l'empire colonial français.

Le français devient langue mondiale
"Empire d'Afrique, Madagascar, Indo-Chine, semblent nous garantir la perpétuité, ce qui veut dire, humainement parlant, la longue continuité de notre idiome.
Il cessera d'être la langue faussement dite universelle ; mais, retiré dans son grand coin du monde, il deviendra le verbe de centaines de millions d'hommes de toute origine, fils de Japhet, de Sem, de Cham, de Gog et Magog et autres ancêtres inconnus.
En dehors de l'île des Hovas et de la presqu'île des Annamites, il résonnera sur les deux rives de la Méditerranée, et aussi sur les deux bords de l'Atlantique".
Onésime Reclus, "Le plus beau royaume sous le ciel", Hachette, 1899, p. 842 (extrait).

Francophonie et francophones

C'est dans le cadre de cette réflexion qu'apparaît le terme "francophonie", dans son ouvrage "France, Algérie et colonies". Par "francophones", Onésime Reclus entend "tous ceux qui sont ou semblent être destinés à rester ou à devenir participants de notre langue".

Dans "France, Algérie et colonies", le géographe estime à 47 825 000 personnes "la population probable au 31 décembre 1880" des francophones dans le monde : 41 600 000 en Europe, 3 560 000 en Afrique, 2 580 000 en Amérique et 85 000 en Asie.

Dans "Le plus beau royaume sous le ciel", Onésime Reclus dénombre à la fin du XIXe siècle près de 43 millions de francophones en Europe, moins de 4 millions en Amérique, à peu près 2 millions en Afrique : "en tout moins de 50 millions de Francophones", auxquels il ajoute quelque 6 millions de Nord-africains, "Français par destination" avec le développement de la colonisation au sud de la Méditerranée, "ce qui nous mène à 54 ou 55 millions".

Estimation de la population francophone par Onésime Reclus
L'estimation de la population des francophones par Onésime Reclus ; in "France, Algérie et colonies", Hachette, 1886, p. 423. Source : Gallica, Bibliothèque nationale de France.

L'avenir du français

Et Onésime Reclus d'espérer un rythme suffisant de propagation du français dans le monde, "car l'humanité qui vient se souciera peu des beaux idiomes, des littératures superbes, des droits historiques ; elle n'aura d'attention que pour les langues très parlées, et par cela même très utiles". Dans un essai prospectif, le géographe se fait presque promoteur de la diversité linguistique - néanmoins limitée aux langues les plus répandues -, créneau stratégique repris par la Francophonie un siècle plus tard. Il observe que "nos patois s'en vont", que "les langues des peuples colonisants finiront en tout pays par étouffer les autres" et prévoit que "dans quelques siècles on ne parlera sans doute que l'anglais, le russe, l'espagnol, le portugais, le français, l'hindoustani, le chinois, peut-être l'arabe".

Ainsi cet appel lancé par Onésime Reclus dans "France, Algérie et colonies", témoigne-t-il d'une certaine actualité en 2002, à la veille du Sommet de Beyrouth consacré au "dialogue des cultures" : "comme nous espérons que l'idiome élégant dont nous avons hérité vivra longtemps un peu grâce à nous, beaucoup grâce à l'Afrique et grâce au Canada, devant les langues qui se partageront le monde, nos arrière-petits-fils auront pour devise : "Aimer les autres, adorer la sienne" !"

Comment ne pas espérer en l'an 2000 ?
"Comment ne pas espérer en l'an 2000, quand on compare l'aire de sa langue, en cette fin de XIXe siècle, à l'espace occupé par elle en 1830, et même à la veille de 1848, quand Louis-Philippe, recevant à Paris la visite du bey de Tunis, ne put causer avec lui qu'en langue italienne ?"
Onésime Reclus, "Le plus beau royaume sous le ciel", Hachette, 1899, p. 842 (extrait).

Tag(s) : #Documents
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :