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Selon le philosophe Daryush Shayegan[1], ces deux figures antinomiques que furent Mohammad Reza Pahlavi et l'ayatollah Rouhollah Khomeiny représentent  les deux faces d'une même médaille, les deux pôles traditionnels de l'Iran, la monarchie et la religion, les deux versants d'une identique démesure : « Tout le drame de l'Iran contemporain est symbolisé par ces deux personnages si différents, si radicalement opposés et pourtant si proches l'un de l'autre. » Même s'ils furent, à partir des années soixante, des adversaires irréconciliables, un parallèle peut être établi entre eux.

Tout d'abord, ce sont des mystiques, Khomeiny de par sa vocation religieuse de philosophe rompu à la scolastique, le shah dans le cadre de son action politique. Tous deux ont la conviction d'être investis par une mission divine, le premier afin de restaurer l'Islam dans sa primauté, le second pour sortir l'Iran de l'ornière du sous-développement. Tous deux se réfèrent à un archétype, une période mythique de l'histoire de la Perse correspondant aux origines. Mohammad Reza Pahlavi entend rattacher son action à Cyrus, le fondateur de l'Empire, à Darius l'unificateur, et aux rois sassanides, ces bâtisseurs dont la religion officielle fut le zoroastrisme. Comme De Gaulle, Shah Pahlavi prétend incarner l'héritage historique, l'identité nationale iranienne. Khomeiny, au rebours, veut jeter aux orties le nationalisme qui a divisé la communauté musulmane. Son utopie est de nature terrestre et spirituelle : il veut fonder en Iran la Cité musulmane, régie par la loi divine, et l'étendre ensuite aux confins du monde. Il en appelle aux gouvernements de Mahomet et d'Ali.

Tous deux ignorent la modestie, faisant preuve de la même démesure, « celle d'un peuple qui n'a jamais cessé de rêver au-dessus de ses moyens[2]. » Considérant que le monde occidental va à la dérive, le shah est convaincu qu'avec leur travail, leur capacité de « sérieux », les Iraniens vont accéder au peloton de tête des nations développées. Quant à Khomeiny, il ne craint pas d'affirmer que son gouvernement est supérieur « à tous, même à ceux de l'aube de l'Islam ». Ces réactions ne révèlent rien d'autre que la compensation par rapport à de longues décennies d'humiliations et à une attitude ambivalente (admiration/répulsion) vis-à-vis de l'Occident. Le shah parle de Persépolis, Khomeiny de Médine et Kufa.

Tous deux partagent le même mépris à l'égard d'un Occident ayant renié ses valeurs spirituelles, ce dont ils rendent responsable la démocratie, système de gouvernement où chacun donne son avis, ce qui conduit à l'anarchie. Le peuple iranien n'ayant pas la maturité nécessaire pour prendre lui-même les décisions doit être guidé par un père spirituel.  Le shah, par tradition politique, et Khomeiny, par idéologie religieuse, considèrent leurs sujets comme des incapables majeurs devant être placés sous tutelle.

Tous deux furent à la fois des mystiques et des politiques animés par une idéologie particulière. Le shah devient « idéologique » quand, après les années soixante, il abandonne ses attributions constitutionnelles pour entreprendre des réformes sociales, ce qui le conduit à sa perte. A la même époque, Khomeiny délaisse ses études théologiques pour entrer dans l'arène politique et s'opposer en nouveau Savonarole au souverain temporel. Il jette aux orties le froc spirituel de Boroudjerdi[3] pour revêtir l'armure du guerrier d'Allah. Le shah et Khomeiny ont transgressé le rôle que la tradition leur avait imparti, l'un en devenant un souverain « révolutionnaire », l'autre en faisant de la religion une arme du combat idéologique.

D'une manière opposée, ils ont voulu réaliser l'Utopie en terrre iranienne, le premier par une révolution pacifique, le second par un séisme violent, deux entreprises plébiscitées par le peuple. Ces deux paradis étaient aux antipodes l'un de l'autre : le premier, celui de la « Grande Civilisation », était purement terrestre ; le second, relèvait du domaine céleste de la « Grande Résurrection ».

Daryush Shayegan en conclut que le roi et l'ayatollah symbolisent la même démesure et, selon les termes du « poète mystique du XII° siècle, Ruzbehan de Shiraz, cette même « démence de l'inaccessible[4]. »

Quand il s'intronisait le successeur de Cyrus, on a accusé le shah de démesure, attitude que les Grecs nommaient hubris et qui attirait immanquablement la némésis, le châtiment destructeur. Sur ce plan, Khomeiny ne fut pas en reste, lui qui se considéra comme un descendant du Prophète (un seyyed) et le Vicaire sur la terre de l'Imam Caché. L'on voit qu'en ce qui concerne la mégalomanie, le religieux ne le cèdait en rien au monarque : tous deux ont caressé des rêves grandioses de restauration, Khomeiny avec le califat d'Ali, Shah Pahlavi avec l'empire de Cyrus l'Aryen.


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