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A ce jour, plus d'une centaine de personnalités de l'ancien régime a été traînée devant une cour de justice secrète à l'intérieur de la prison de Qasr, présentée à des juges cagoulés, sans dossier d'accusation ni recours, procédure expéditive entraînant séance tenante la condamnation à mort suivie de l'exécution. L'ayatollah Sadegh Khalkhali - en réalité un vulgaire mollah que ses partisans se contentent d'appeler cheikh - préside le tribunal révolutionnaire : « Selon la Cour islamique, il est interdit aux musulmans de fournir de la nourriture ou de l'eau à une personne condamnée à mort. Aussi ne saurait-elle survivre plus longtemps ». Justifiant l'absence d'avocat, ce subtil juriste nommé par Khomeiny ajoute : « Dans le système judiciaire islamique, il n'est pas prévu d'avocat, à moins que l'accusé ne soit muet et incapable de se défendre par ses propres moyens ».

Dans la nuit du  15 mars 1979, Hoveyda est tiré de son lit et conduit devant ses juges. Il se présente hagard et angoissé, ayant perdu ses repères car il a ingurgité des somnifères avant de s'endormir. Une pellicule de sueur lustre son teint cireux. Souvenir de la Révolution Culturelle chinoise, on l'a obligé à porter, fixé à son blouson de cuir,  un carton sur lequel son nom est inscrit en caractères maladroits. L'heure indécente a été choisie délibérément pour l'humilier et briser sa combativité. La publicité du procès est réduite à la portion congrue : pas d'avocat pour le soutenir, l'assistance choisie est composée des représentants de la seule presse iranienne et de privilégiés.

Devant les journalistes et les photographes,  il s'affale sur sa chaise en entrecroisant les mains. Et il ne tarde pas à se tourner sporadiquement les pouces tout en promenant autour de lui un visage hébété.  Ce que les spectateurs ignorent, c'est que dans le langage de la Loge un tel geste équivaut à un signal de détresse, un appel à l'aide.

Le Journal de Téhéran du 17 mars 1979 (26 esfand 1357) a publié un article reproduisant  la teneur des 17 chefs d'accusation lus à la première audience. Les deux premiers, inspirés par la Cinquième Sourate, sont ainsi rédigés « 1. Corruption sur la terre. 2. Rébellion contre le Tout-Puissant et actes hostiles contre les créatures de Dieu et le Vicaire du douzième Imam ».  Désormais, les délits et les crimes ne sont plus régis par la règle de droit, mais ressortissent aux transgressions anathématisées par la loi islamique ; les deux déviations majeures étant mofsede fel araze - la corruption sur la terre - et mohareb ba khoda - la guerre contre Dieu- l'adultère ou l'homosexualité relevant de la première, et l'opposition à l'ordre divin de la seconde.

Pour faire bonne mesure, il est reproché en vrac à l'ancien Premier ministre le pillage des ressources de l'Iran par l'impérialisme américain, l'espionnage au profit des Etats-Unis et d'Israël et le fait d'appartenir à la franc-maçonnerie, « la loge Foroughi, de son propre aveu », ce qui est reconnaître son allégeance aux élites occidentalisées. Le procureur Hadi Hadavi, une des inflexibles réincarnations de Fouquier-Tinville à la face ravagée par une maladie de peau, prononce ses réquisitions : « Ces accusations étant fondées avec certitude, le tribunal de la révolution islamique demande la peine de mort et la saisie des biens de l'accusé ». Tout en se plaignant d'avoir été mis au secret, privé de radio, de journaux et dans l'incapacité de préparer sa défense, Hoveyda a beau jeu de faire remarquer au tribunal  que l'accusation ne fait mention ni de sang versé, ni de prévarication.

Des protestations contre les risques d'une justice sommaire se font entendre dans le monde, levées de boucliers qui ne font que précipiter l'échéance inéluctable. Trois semaines plus tard, Hoveyda comparaît pour la seconde fois devant le tribunal présidé par Khalkhali. Sur une table minuscule, il a déposé son épais bloc-notes relié en cuir. Près de lui s'assied, ainsi qu'une hyène flairant par avance l'effluve du sang, un mollah nommé Hadi Ghafari, connu pour son radicalisme violent et son penchant pour les bordels.

A un peu plus de deux heures de l'après-midi de ce 7 Avril, Hoveyda défend toujours seul sa cause.  Afin de s'exonérer de sa responsabilité politique, il choisit d'incriminer un système ayant préexisté à sa prise de fonctions : « Je n'étais qu'un simple exécutant aux ordres du shah qui n'avait pas de comptes à rendre de ses actes. La Savak faisait partie de son domaine réservé. Nous avons tous vécu sous le même régime ».  Les joues hâves et terreuses, les traits tirés jusqu'à la trame par une détention pendant laquelle il a été délesté d'une vingtaine de kilos, celui qui prétendait n'être que le fondé de pouvoir d'un chef d'entreprise avisé a perdu de sa superbe. Désormais, métaphore déliquescente d'un régime déchu, il sait que son sort est scellé. En tant que bouc émissaire livré à la vindicte par son maître, il va être sacrifié. Cette seconde audience n'est qu'une paraphrase de la première. A la fin de son plaidoyer, Khalkhali prend la parole : « Monsieur Hoveyda, pendant treize ans, vous avez exercé la fonction de Premier ministre du shah. En tant que haut responsable, vous êtes complice de ses crimes. » Le verdict de mort est entériné : « Vous êtes condamné à mort en tant que corrupteur de la terre et vos biens seront confisqués. »

Hoveyda est conduit à travers un corridor vers la cour, précédant Khalkhali et sa cohorte de mollahs.  Alors qu'il débouche au-dehors, Ghafari se saisit d'un pistolet et tire deux balles presque à bout portant dans le cou d'Hoveyda qui s'écroule, touché à mort. L'ex-Premier ministre sexagénaire, à l'agonie mais lucide, implore un dénommé Karimi de l'achever : « Je n'étais pas censé finir ainsi. » L'homme tire le coup de grâce dans le crâne. Dans l'univers de Big Brother, la mort intervient toujours ainsi : par derrière, d'une balle dans la nuque, inopinément, alors que vous longez un couloir.

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