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Le président chinois Hu Jintao a effectué cet automne 2010 une tournée des capitales européennes : Athènes, Paris, Lisbonne... Il a partout été accueilli en sauveur par des chefs d'État confrontés à une crise économique et financière majeure.

Que penser de ce retournement de l'Histoire, un siècle à peine après les humiliations infligées par les mêmes Européens à l'Empire du Milieu ?

L'attitude des Européens à l'égard des Chinois ne manque pas de sel. «Le soutien de nos amis chinois est une chance pour nous», dit un dirigeant grec à propos de ces nouveaux «amis» tombés du ciel. Quant au président français, anxieux de signer enfin un gros contrat, il se plie en quatre devant son hôte, qu'il avait proprement insulté, deux ans plus tôt, à propos du Tibet.

Vous avez dit : «Droits de l'homme» ?...

C'était en 2008, il y a très, très longtemps... Nicolas Sarkozy, ignorant tout de la Chine comme la plupart des autres Européens, pensait qu'il était en son pouvoir de lui faire la leçon sur les «droits de l'homme», comme aujourd'hui encore certains s'y hasardent à propos de Liu Xiaobo, un Prix Nobel de la paix que nul ne connaissait avant que l'Académie de Stockholm ne le distingue.

Les droits de l'homme ? Les dirigeants chinois, tel Hu Jintao, n'ont pas le goût d'en parler. Mais ils ont la mémoire longue et derrière un sourire de convenance, ils n'oublient pas la supplique «droitdelhommiste» adressée en 1833 par le gouverneur de Canton au roi de Grande-Bretagne et d'Irlande : «Vous interdisez l'opium dans votre royaume. Pourquoi laissez-vous des marchands funestes, par appât du lucre, empoisonner notre peuple ?» (*). Quelques années plus tard, le traité de Nankin, premier d'une longue suite de «traités inégaux», livrait aux Anglais l'immense marché chinois.

Ces péripéties, que les Européens ont totalement oubliées, demeurent très présentes à l'esprit des Chinois. Elles nourrissent leurs imprécations contre l'Occident et réapparaissent aujourd'hui dans les films historiques qui magnifient la Chine ancienne.

De la stagnation à la régression

Avant le XIXe siècle, douloureuse période tissée de guerres et de famines, la Chine, rappelons-le, tenait un rang honorable par rapport à l'Europe.

À la fin du Moyen Âge, sous les premiers Ming, son avance était incontestable tant dans les techniques et les sciences que dans le domaine économique et social. En 1405, avec plusieurs décennies d'avance sur le Portugal, une grande flotte se lançait dans l'océan Indien et atteignait les côtes africaines.

Mais à la différence de l'Europe, éclatée en différents États que stimulaient leurs rivalités, la Chine, empire centralisé et bureaucratique, s'est sclérosée sous la pression des lettrés confucéens. Ces gens intelligents et respectueux de l'État ont convaincu l'empereur qu'il ne fallait surtout rien changer à un mode de fonctionnement somme toute convenable.

Au XVIIe siècle, au contact des missionnaires jésuites, les empereurs prennent la mesure de leur retard dans l'astronomie, l'armement etc. Mais leur bonne volonté ne peut rien contre un système bureaucratique strictement hiérarchisé, que des réformes trop hâtives pourraient briser.

Au demeurant, pourquoi s'inquiéter ? En partageant les grandes propriétés, les empereurs mandchous ont transformé la Chine en un pays de petits propriétaires relativement aisés. Sous le règne de Qianlong, au XVIIIe siècle, la population n'est pas loin de doubler, à plus de 300 millions d'habitants. En Occident, on s'entiche de cet empire mystérieux qui fait figure de pays de cocagne. La mode est aux «chinoiseries» : laques, soieries et... thé.

C'est bien là le problème. Les Anglais, en sirotant leur thé, se disent qu'il leur coûte de plus en plus cher car eux-mêmes n'ont rien à proposer aux Chinois qui puisse les intéresser. Alors, pour équilibrer tant bien que mal leur balance commerciale, ils produisent du pavot en Inde et initient les Chinois à l'opium... Comme cela pose question au pays de la démocratie, Londres envoie en 1793 une importante ambassade à Pékin, auprès du vieil empereur Qianlong. Mais elle débouche sur un échec.

Faute de pouvoir s'entendre avec la cour impériale, les Anglais se disposent à user de la force pour ouvrir la Chine, malgré elle, aux bienfaits du commerce international, du libre-échange et de la modernité. On sait ce qu'il en adviendra.

De la renaissance à la revanche

À la fin des années 1960, la plupart des observateurs affichent leur pessimisme sur l'avenir de la Chine, en dépit de l'admiration de nombreux Occidentaux pour Mao Zedong et la «Révolution culturelle». L'agronome René Dumont, militant écologiste de la première heure, annonce une famine géante pour la décennie suivante.

Heureusement, ses prédictions sont déjouées par la mort de Mao et le retour au pouvoir d'un vieux rival, Deng Xiaoping. On retient sa définition imagée du pragmatisme : «Peu importe que le chat soit noir ou blanc pourvu qu'il attrape les souris !» Faisant fi de la théologie marxiste, Deng Xiaoping engage la Chine dans la voie de la modernisation économique, sans rien changer toutefois à son système politique.

Avec plus d'un milliard d'habitants et des régions aux niveaux de développement très disparates, la Chine peut se comparer à un ensemble euro-méditerranéen qui réunirait l'Europe, la Russie, le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord. Le parti unique, avec une direction collégiale et une hiérarchie aussi rigide que l'ancien mandarinat, l'a préservée jusqu'à maintenant des risques d'implosion.

En matière économique, Deng Xiaoping et ses successeurs Jiang Zemin et Hu Jintao bénéficient de l'atout de tous les pays pauvres : une main-d'oeuvre abondante, disciplinée et bon marché. Mais ils ne s'en tiennent pas là...

Ils jouent aussi de l'arme monétaire avec la même habileté que les Européens du XIXe siècle et au final, le même résultat : l'appauvrissement et l'assujettissement de leurs rivaux.

L'arme monétaire de Pékin

Le processus est le suivant :

1) Une maison d'import-export achète en Chine un milliard de yuans de marchandises et les vend aux États-Unis 250 millions de dollars. Elle convertit sur place ces dollars en marchandises et revend celles-ci en Chine un milliard de yuans.

Cet échange, équilibré et loyal, indéfiniment renouvelé, aboutit à l'équivalence : 1 dollar = 4 yuans.

2) Supposons maintenant que la maison d'import-export, contrôlée par le gouvernement de Pékin, conserve 50 millions de dollars et ne redistribue aux salariés chinois que 200 millions de dollars sous forme de marchandises américaines.
Au même moment, le gouvernement américain, qui a un budget en déficit, lance un emprunt pour payer ses fonctionnaires. Pékin vient à son secours et lui achète pour 50 millions de dollars de «bons du Trésor», autrement dit de papiers par lesquels Washington s'engage à rémunérer et rembourser ses créanciers.

Les conséquences sont les suivantes :
- la valeur du yuan chute car les Chinois ne reçoivent plus que 200 millions de dollars pour l'équivalent d'un milliard de yuans de marchandises (un dollar = 5 yuans),
- le niveau de vie des salariés chinois stagne du fait d'un yuan sous-évalué et en dépit des gains de productivité,
- la sous-évaluation du yuan, due à la conversion par Pékin d'une partie de ses dollars en bons du Trésor, pénalise les exportateurs américains et tend à leur barrer le marché chinois ; elle favorise d'autant les exportations chinoises.

En jouant à la fois sur la sous-évaluation du yuan et l'achat de la dette américaine, Pékin a accumulé dans les deux dernières décennies 2.000 milliards de dollars de bons du Trésor américains (à peu de chose près l'équivalent de tout ce que produisent - ou dépensent - les Français en une année).

À quoi peut servir ce magot dormant ? Entre autres éventualités, on peut imaginer un processus «à la tunisienne» : au XIXe siècle, le gouvernement français a obligeamment prêté de l'argent au bey de Tunis puis, un jour, lui a présenté la note. Ce jour-là, la Tunisie a dû céder le contrôle de ses finances et de ses douanes à la France pour lui permettre de se rembourser. Elle est de fait passée sous protectorat français...

La tournée du président Hu Jintao chez les «canards boiteux» de l'Union européenne montre que ses visées ne se limitent plus au dollar mais s'étendent à l'euro. En proposant bienveillamment à Athènes et Lisbonne de racheter une partie de leur dette, Pékin aliène la souveraineté européenne comme il a déjà aliéné la souveraineté américaine.

M. Hu fait d'une pierre deux coups car, en prêtant des euros à Athènes et Lisbonne, il favorise la surévaluation de la devise européenne, déjà très au-dessus du raisonnable. C'est un coup grave, sinon mortel, porté à l'industrie européenne ou à ce qui en reste.

La Chine prospère des Qin a été brisée en l'espace d'une génération (1793-1842). Combien de temps faudra-t-il à Pékin pour rendre la pareille au Vieux Continent ?

                                                                                                                                                                                Joseph Savès


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