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Le 12 mai 1937, le monde a l'oreille tournée vers l'abbaye de Westminster. Chacun oublie un instant les menaces qui pèsent sur l'Europe, la guerre qui s'étend en Chine et en Espagne, la répression qui s'abat sur l'URSS et les gesticulations d'un fou furieux de l'autre côté du Rhin.

Dans l'abbaye se déroule en effet le couronnement du nouveau roi de Grande-Bretagne et d'Irlande (le Royaume-Uni), par ailleurs Empereur des Indes, George VI. Pour la première fois, la cérémonie est radiodiffusée.

Fabienne Manière.

Le duc d'York devient George VI

L'homme de 40 ans qui est assis ce jour-là sur le trône vénérable d'Édouard le Confesseur n'est pas celui pour lequel la cérémonie avait été prévue. Six mois plus tôt, le 11 décembre 1936, il a dû remplacer au pied levé son frère aîné, Édouard VIII, contraint d'abdiquer du fait de sa relation avec Mrs Wallis Simpson.

Deuxième des cinq garçons de George V, le nouveau roi est né avec le titre de duc d'York et sous le prénom d'Albert mais il adopte sagement comme nom de règne celui de son père, à la consonance plus britannique, et devient pour l'Histoire George VI.

D'un naturel timide, gaucher contrarié, le duc d'York a connu une enfance pénible et il lui en est resté des troubles gastriques et surtout un pénible bégaiement (sans doute dû à la volonté de son père de lui imposer l'usage de la main droite). Ce handicap est au centre du film Le discours d'un roi (2010).

Le duc d'York s'épanouit comme son père dans la marine et participe pendant la Grande Guerre à la bataille du Jutland. En 1923, il épouse Elizabeth Bowes-Lyon, fille du comte de Strathmore ; mariage heureux sanctifié par la naissance de deux filles, la future Elizabeth II et la princesse Margaret, en 1926 et 1930.

Attaché à une vie paisible auprès de sa femme et de ses filles, le duc d'York éprouve de violentes contrariétés quand ses obligations l'entraînent à parler en public. Le comble est atteint lors du discours de clôture du British Empire Exhibition, le 31 octobre 1925, dans le stade de Wembley. Son bégaiement s'avère une torture pour lui-même comme pour le public.

À la suite de cette expérience, sa femme le met en relations avec un orthophoniste non-conformiste d'origine australienne, Lionel Logue, de quinze ans son aîné. L'homme, sans doute adepte des nouvelles théories freudiennes sur l'inconscient et le poids de l'enfance, traite son patient autant par la parole que par des exercices de décontraction musculaire. La thérapie s'avère profitable sans être miraculeuse.

Tout bascule à cause d'une Américaine qui s'est immiscée dans la vie de son frère, célibataire endurci, réticent aux conventions de la vie de cour.

Raison d'État

En 1935, le prince de Galles Édouard projette d'épouser sa maîtresse mais il n'ose faire part de son intention à son père, gravement malade. Quand George V meurt le 20 janvier 1936, un lourd malentendu pèse donc sur sa succession.

Le Premier ministre Stanley Baldwin invective en privé le nouveau roi, qui lui affirme sa volonté d'épouser Wallis. Il lui fait comprendre que le souverain, chef de l'Église anglicane, ne peut décemment se marier avec une femme deux fois divorcée.

Qui plus est, il lui révèle les informations que les services secrets ne se sont pas fait faute de recueillir sur les mauvaises moeurs de sa maîtresse et ses relations ambigües avec les milieux nazis et fascistes. Ainsi a-t-elle été la maîtresse de Ciano, le gendre de Mussolini. Enceinte de ses oeuvres, elle a avorté (ce qui l'a empêchée par la suite d'avoir des enfants). Autant de motifs d'empêcher qu'elle n'entre au palais de Buckhingham à un moment aussi critique de l'Histoire.

La résolution de la crise institutionnelle vaut à Stanley Baldwinn une immense popularité, très imméritée au regard de son inaction en matière internationale. A contrario, le député Winston Churchill, qui s'est déconsidéré en soutenant jusqu'au bout Édouard VIII, est contraint à une retraite forcée dans son manoir de Chartwell.

Roi malgré lui

Le soir du 11 décembre 1936, quand Édouard VIII, après avoir signé son acte d'abdication, s'incline devant son frère cadet, celui-ci est totalement pris de court. «Ce n'est pas possible, ce n'est pas vrai !», lance-t-il.

Mauvais début. Il va heureusement se ressaisir et, au contraire de son frère, va témoigner dans le restant de sa vie d'un remarquable sens de l'abnégation et du devoir.

Churchill prend la mesure du changement le jour du couronnement. Se tournant vers sa femme Clementine, il lui confie : «Tu avais raison. Je vois maintenant que l'autre n'aurait pas convenu» (*). Le lendemain, d'ailleurs, il reçoit du roi, en réponse à son message de voeux, une lettre manuscrite, compatissante et élogieuse, qui fait référence à ses qualités d'homme d'État. Il en sera éternellement reconnaissant au jeune souverain.

Quelques jours plus tard, le 28 mai 1937, Baldwin remet sa démission au roi et se fait remplacer par Neville Chamberlain au 10, Downing Street.

Le nouveau chef du gouvernement va se montrer aussi aveugle que son prédécesseur sur la situation internationale. Partisan de l'«appeasement» (apaisement) à tout prix avec Hitler, il se sépare en février 1938 de son ministre des Affaires étrangères Anthony Eden et le remplace par Lord Halifax. Celui-ci va piloter les désastreux accords de Munich.

Après l'occupation de Prague par les Allemands, le 15 mars 1939, Neville Chamberlain ouvre enfin les yeux et tente en vain de nouer des alliances avec les pays d'Europe centrale.

Le 3 septembre 1939, après l'invasion de la Pologne, il n'a d'autre choix que de déclarer la guerre à l'Allemagne. George VI prend sur lui et prononce son premier discours de guerre avec un minimum de bégaiement.

Enfin, le soir du 10 mai 1940, après que la Wehrmacht eut envahi la France et le Bénélux, Neville Chamberlain, faisant preuve d'une abnégation honorable, se rend au palais de Buckingham et présente sa démission au roi. Il lui recommande d'appeler à sa place le seul homme qui lui paraisse pouvoir faire front, son rival Winston Churchill.

Les mois suivants voient les Britanniques essuyer les plus grandes épreuves de leur Histoire. Seuls à résister à Hitler pendant «the lonely year» (22 juin 1940 - 22 juin 1941), ils doivent endurer qui plus est le bombardement de leurs villes. C'est le «Blitz».

En septembre 1940, Londres et en particulier les quartiers populaires de l'East End sont ravagés par les bombes. La famille royale est invitée à se réfugier dans sa résidence écossaise de Balmoral mais elle refuse et s'accroche au palais de Buckingham. Celui-ci n'échappe pas aux bombes et le roi et la reine manquent même d'être tués. «Je suis heureuse que nous ayons été bombardés, cela me permet de voir l'East End en face», s'exclame la reine.

Courage et dignité valent au roi et à la reine une immense popularité, contribuant à soutenir le moral de la Nation. En 1942, le jeune frère du roi, le duc de Kent, trouve la mort lors d'une mission aérienne au-dessus de l'Europe occupée. En 1943, le roi visite le front en Afrique du Nord. Il est acclamé à Malte et accorde à l'île entière la croix de Saint-Georges en récompense de sa résistance aux attaques de l'Axe germano-italien. Cette croix figure sur le drapeau de l'île.

Après la Seconde Guerre mondiale, la dissolution progressive de l'Empire britannique entraîne le roi à renoncer à son titre d'Empereur des Indes.

De santé fragile, surmené et rongé par l'abus de tabac, George VI s'éteint dans son sommeil, à 57 ans, après une journée de chasse au lièvre. Sa fille Elizabeth apprend la nouvelle alors qu'elle est en voyage au Kenya avec son mari Philip Mountbatten.

Bibliographie

Sur l'histoire des Windsor et plus généralement des souverains anglais, on peut lire le beau livre d'Antonia Fraser : Rois et reines d'Angleterre (Tallandier, 1979), à la portée de tous les publics.

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