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Amir Abbas Hoveyda, victime expiatoire

Pompidou-Hoveyda.jpgAmir Abbas Hoveyda (1919-1979) fut Premier ministre du Shah d'Iran durant presque treize années du 27 janvier 1965 au 6 août 1977.225px-Hoveyda.jpg

94 Amir Abbas Hoveyda, Ardeshir Zahedi, Shah, Farah and Asadollah Alam official.jpg

 

Quand la révolution islamique battit son plein au cours de l'année 1978, le Shah envisagea de procéder à l'arrestation de son ancien Premier ministre "pour donner des gages à l'opposition et apaiser l'opinion."

Ainsi, la décision fut prise lors d'un conseil  tenu sous l'autorité du Shah le 8 novembre, de  mettre Hoveyda en résidence surveillée.

Hoveyda fut donc arrêté et conduit dans une résidence de la Savak (police politique) : estimant ne rien avoir à se reprocher dans sa gestion gouvernementale, il espérait bénéficier d'un procès équitable au cours duquel il balaierait les accusations portées contre lui.

Malgré les conseils prodigués, il refusera toujours de quitter l'Iran.

Le 11 février 1979, la révolution triomphe à Téhéran. Hoveyda est arrêté dans sa résidence par les milices révolutionnaires, puis transféré à la prison de Qasr. Le 15 mars, en plein milieu de la nuit, il est traîné devant le tribunal révolutionnaire présidé par le sinistre mollah Sadegh Khalkhali, le Fouquier-Tinville enturbanné. On lui lit l'acte d'accusation, il n'a pas droit à l'assistance d'un avocat et la peine de mort est requise par le procureur.


L'interview controversée de Christine Ockrent

Le 28 mars, se présentent à la prison de Qasr  à Téhéran deux journalistes français, Christine Ockrent et Jean-Loup Reverier; un cameraman français, Jean-Claude Luyat; une interprète iranienne, Ladan Boroumand; et le directeur de la prison ainsi que le procureur général du Tribunal révolutionnaire, Hadi Hadavi.

Ockrent avait obtenu l'autorisation de Bani Sadr, alors proche collaborateur de Khomeiny.

Dans sa cellule, Hoveyda est recroquevillé sur sa couchette, portant un méchant pantalon, une calotte de velours et des chaussettes blanches. Il est loin le souvenir de l'homme élégant en complet Smalto, l'orchidée à la boutonnière et l'éternelle pipe à la bouche. Désabusé et sans illusion sur son sort, il n'est plus que l'ombre du brillant homme politique qu'il fut.

"Nous sommes de la télévision française, monsieur, de la troisième chaîne, attaque Ockrent en préambule. Nous avons l'autorisation de parler avec vous. Il y a tant de gens qui attendent de vos nouvelles."

Esquissant un sourire, Hoveyda répond : "On ne m'oublie donc pas en France."

D'emblée, Christine Ockrent s'installe dans le rôle du procureur, commençant l'interview par une diatribe contre le régime du shah, sans doute pour donner des gages aux nouvelles autorités. Elle attaque Hoveyda, s'imaginant être dans l'enceinte d'un tribunal : "Saviez-vous quel genre de torture était pratiqué dans vos prisons ?"

Alors qu'Hoveyda rétorque qu'il l'ignorait, l'inquisitrice revient à la charge d'un ton agressif : "Comment le Premier ministre pouvait-il ne pas être au courant de ce qui se passait ?"

Hoveyda, acculé dans ses retranchements, lâche : "Je ne suis pas responsable. C'était un domaine réservé (du shah)"

Ockrent tente pour finir d'inciter Hoveyda à critiquer le shah, mais l'ancien Premier ministre ne donne pas dans le panneau. Néanmoins, elle lui pose la question qui tue : "Pourquoi pensez-vous que le shah a ordonné votre arrestation ? Vous considérez-vous comme une victime de l'ancien régime ?"

C'est à ce moment-là que Hoveyda admet amèrement : "Je pense que je suis devenu un bouc émissaire."

Hoveyda à la morgue.jpg

Les critiques du reportage

Le reportage fut diffusé à la télévision deux semaines plus tard (Hoveyda avait été abattu dans sa prison le 7 avril après un simulacre de procès) et suscita de profondes protestations.

Le Figaro s'indigna : "C'est une affaire révoltante. Un journaliste n'a pas le droit de prendre part à une telle mascarade. On n'interroge pas un prisonnier politique dans sa cellule avec ses ennemis à côtés. On ne lui demande pas s'il est coupable ou non. On n'essaye pas de lui extorquer des déclarations qui pourront ensuite être utilisées contre lui et l'envoyer au gibet. La question n'est pas de savoir si Hoveyda est coupable ou non. La question est que ce n'est pas à Mme Ockrent d'en décider, et qu'en lui posant des questions sur la torture, elle se conduit comme un accusateur, pire, comme un provocateur, pour ne pas dire un espion à la solde de la prison."

Dans Le Nouvel Observateur du 14 avril 1979, Françoise Giroud écrira un article plus nuancé :


OCKRENT ET HOVEYDA.pdf


Répondant à ces accusations, Christine Ockrent rédigea un mémoire en défense où elle déclara notamment : "Nous n'avons été ni son procureur ni ses avocats, nous avons été son écho." Elle fit remarquer qu'elle avait apporté au monde la voix et le regard d'un prisonnier politique, condamné à un isolement arbitraire.

Elle se justifiera encore face à Michel Polac, le 24 mars 2007, lors d'une émission de Laurent Ruquier sur France 2 "On n'est pas couchés" : elle ne regrette pas grand-chose sur le fond, attribuant son agressivité au contexte politique iranien.

OCKRENT ET POLAC.jpg

(Sources : William Shawcross, Le Shah Exil et mort d'un personnage encombrant, Editions Stock, 1989, p. 241-242 ; Abbas Milani, The Persian Sphinx Amir Abbas Hoveyda and the Riddle of the Iranian Revolution, Mage Publishers, Washington, DC, 2004, p. 29-35)

 

Abbas Milani Biographie de Hoveyda.jpg
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